Revue d'Evidence-Based Medicine



Qu’est-ce qu’un placebo ? (première partie)



Minerva 2016 Volume 15 Numéro 5 Page 130 - 132

Professions de santé


Malgré une réflexion sur le placebo proposée par Barbara Michiels dans Minerva en 2009 (1), nous avons été régulièrement contactés par des lecteurs à propos de la définition et des effets des placebos. Nous avons dès lors décidé de demander à Isabelle Dagneaux intéressée à ce concept tant par sa formation de médecin généraliste que par sa formation en philosophie de nous éclairer sur ce sujet. Elle nous offre un regard large sur la question, nous permettant d’appréhender le concept du placebo sous différentes facettes.

Nous initions dès lors avec ce numéro une série de 3 articles de méthodologie, quelque peu inhabituels dans leurs formes, qui permettront d’aborder tant l’effet placebo que son opposé, l’effet lessebo. Nous espérons que nos lecteurs prendront plaisir à la lecture de ces articles.

 

1. Le placebo, une réalité « en creux »

Le terme placebo est utilisé très régulièrement dans les études biomédicales, à tel point qu’on pense bien le connaître. Pourtant, il est difficile de définir le placebo de façon positive, car il est en général défini par défaut : il est ce à quoi on compare un médicament dont on veut étudier l’efficacité, une sorte de témoin, de « point zéro ». C’est une réalité qui ne reçoit pas un intérêt pour elle-même mais pour ce qu’elle permet de montrer. Nous proposons ici de nous y intéresser en tant que telle. René Kaës, psychanalyste, parle du placebo comme d’un « pacte dénégatif » de l’institution biomédicale. Il mentionne ce terme pour définir, dans la vie des groupes, une des « alliances [ayant] une fonction défensive : elles trouvent leur matière, leur énergie et leur moteur dans les représentations co-refoulées ou co-déniées, ou co-rejetées. Il en est ainsi des pactes dénégatifs » (2). Dans le cadre de la biomédecine, la volonté de maîtrise du corps humain et la foi en l’action portée sur lui par différents procédés thérapeutiques doivent souder le corps médical, dans le sens de l’unifier, de faire en sorte qu’il ne fasse qu’un, d’avoir un accord de tous sur cette définition. Ce qui ne peut être expliqué, comme des améliorations suite à une thérapeutique jugée non efficace, est attribué au placebo et refoulé, afin de ne pas ébranler les fondements du paradigme biomédical, la lisibilité du corps humain et l’action sur lui qu’elle rend possible.

Notre objectif est de faire le point sur la notion de placebo et sur les hypothèses de son action, en puisant dans la littérature, de plus en plus abondante, de ce domaine encore peu structuré (en témoigne le fait de retrouver très souvent des éléments historiques, étymologiques et des définitions, pas toujours complètement congruentes).

2. Définitions

  • Placebo : tout procédé thérapeutique (médicament, mais aussi chirurgie, kinésithérapie, acupuncture, psychothérapie, etc.) administré à un patient dans le cadre d’une pathologie, en l’absence de preuve d’efficacité dudit procédé dans cette pathologie. Historiquement et étymologiquement (le mot placebo vient du latin et peut être traduit par « je plairai »), on a dit qu’il était donné « plus pour plaire au patient que pour le guérir » (dictionnaire médical Hooper, 1811.) (3).
  • Réponse placebo ou effet placebo perçu : effet observé après l’administration d’un placebo. Cette réponse est la résultante de
    • de l’évolution spontanée
    • de l’effet placebo « vrai »
    • d’un phénomène statistique de régression à la moyenne (des mesures répétées ont tendance à s’approcher de la moyenne)
    • de biais, facteurs confondants
    • du hasard
    • d’interventions parallèles non identifiées (modifications hygiéno-diététiques,…).
  • Effet placebo (« vrai ») : effet obtenu par l’administration d’un placebo. Il y a donc relation causale entre l’administration et l’effet.

La distinction entre la réponse placebo et l’effet placebo permet de rendre compte de ce que l’on appelle « l’erreur de Beecher » : cet anesthésiste américain estimait, en 1955, l’efficacité moyenne du placebo à 35% (4), chiffre abondamment repris ensuite dans la littérature. Il se basait sur 15 études cliniques randomisées (RCT) versus placebo comptabilisant au total 1082 sujets : l’amélioration était notée chez 35 patients sur 100 prenant le placebo. Il s’agit d’une mesure de la réponse placebo, et non stricto sensu de l’effet placebo (5). L’effet placebo « vrai » inclut les effets des « facteurs placebos » que sont l’aspect du traitement, la relation médecin-malade, les attentes des patients et des médecins, le contexte, l’intention thérapeutique, etc.

3. Mesure de l’effet placebo

Comme le montre l’erreur de Beecher, il ne suffit pas de comparer l’intervention au bras placebo d’une RCT, il est nécessaire de comparer le groupe traité par placebo à un groupe non traité afin de distinguer réponse et effet placebo, et d’écarter en particulier le rôle de l’évolution spontanée. Cette exigence soulignée dès les années 60 (6) ne sera appliquée dans la mesure et l’évaluation de l’effet placebo que dans les années 1990, avec l’application de l’EBM (7).

4. Caractéristiques classiques attribuées au placebo et invalidées par l’expérience

Certaines tentatives de définitions permettent de réfléchir sur les caractéristiques du placebo. Nous en retiendrons deux parmi les plus courantes, qui se sont révélées erronées.

  • Effet non spécifique 
    Shapiro avait proposé en 1964 la définition suivante (8) : « Un placebo est défini comme toute procédure thérapeutique (ou composante de toute procédure thérapeutique) - a. qui est administrée délibérément pour produire un effet, ou - b. qui produit un effet qui n’était pas connu, sur un patient, un symptôme, une maladie ou un syndrome, mais qui est objectivement sans activité spécifique sur la condition en traitement ». L’expérience de Lévine en 1978 (9) a montré que l’analgésie post-opératoire dentaire obtenue par le placebo était inhibée par l’injection de naloxone, antidote des morphiniques, mettant ainsi en évidence le rôle des endorphines dans l’analgésie obtenue par placebo. Il s’agit bien là d’un effet spécifique, médié par le même type de processus que l’analgésie obtenue par des morphiniques.
  • Fonctions intellectuelles supérieures 
    Certains auteurs ont rendu l’effet placebo tributaire de fonctions intellectuelles supérieures, comme Ivan Godfroid, psychiatre belge, en 1997 : « Un placebo est une modalité thérapeutique qui exige la participation des fonctions intellectuelles supérieures du patient, l’intensité de cette participation induisant directement la réponse somatique curative, dénommée ‘effet placebo’ » (3). Ces fonctions sont nécessaires dans les hypothèses explicatives de l’attente, de la suggestion. Le même auteur reconnaît pourtant la présence d’un effet placebo chez des nouveau-nés. Par ailleurs, d’autres chercheurs ont mis en évidence la réalité d’un effet placebo chez des animaux (10) entre autres avec des rats (11,12). Il est donc possible que certains mécanismes impliqués dans l’effet placebo soient rendus possibles par la présence de fonctions intellectuelles supérieures, mais celles-ci ne sont pas indispensables à la présence d’un effet placebo.

 

La suite au mois de septembre où seront abordées les hypothèses du mode d’action du placebo et l’apport de l’imagerie médicale.

 

 

Références

  1. Michiels B. Puissance ou inutilité des placebos ? Entre croyants et incrédules ? [Editorial] MinervaF 2009;8(9):117.
  2. Kaës R. Le sujet, le lien et le groupe. Groupalité psychique et alliances inconscientes. Cahiers de psychologie clinique 2010;1:13-40. URL : www.cairn.info/revue-cahiers-de-psychologie-clinique-2010-1-page-13.htm.
  3. Godfroid IO. L'effet placebo. Un voyage à la frontière du corps et de l'esprit. Socrate Editions Promarex, 2003.
  4. Beecher HK. The powerful placebo. J Am Med Assoc 1955;159:1602-6.
  5. Boussageon R. Placebo et effet placebo. Quatrième partie : la difficile mesure de l’effet placebo « L’erreur de Beecher ». Médecine 2013;9:128-31.
  6. Honigfeld G. Non-specific factors in treatment. I. Review of placebo reactions and placebo reactors. Dis Nerv Syst 1964;25:145-56.
  7. Ernst E, Resch KL. Concept of true and perceived placebo effects. BMJ 1995;311:551-3.
  8. Shapiro AK. A historic and heuristic definition of the placebo. Psychiatry 1964;27:52-8.
  9. Levine JD, Gordon NC, Fields HL. The mechanism of placebo analgesia. Lancet 1978;2:654-7.
  10. McMillan FD. The placebo effect in animals. J Am Vet Med Assoc 1999;215:992-9.
  11. Lemoine P. Le mystère du placebo. Odile Jacob, 1996.
  12. Tilmans-Cabiaux C. Effet placebo ou la subjectivité à l'œuvre dans la guérison. In: Ravez L, Tilmans C (editors). La médecine, autrement ! Pour une éthique de la subjectivité médicale. Presses universitaires de Namur, 2011:273-96.

 


Auteurs

Dagneaux I.
Médecin généraliste, Centre de Bioéthique de l'Université de Namur (CBUN)
COI :

Glossaire

effet placebo, placebo

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