Revue d'Evidence-Based Medicine



Pontage coronarien en ajout à un traitement médical en cas de cardiomyopathie ischémique avec insuffisance cardiaque ?



Minerva 2017 Volume 16 Numéro 1 Page 4 - 7

Professions de santé

Médecin généraliste

Analyse de
Velazquez EJ, Lee KL, Jones RH, et al; STICHES Investigators. Coronary-artery bypass surgery in patients with ischemic cardiomyopathy. N Engl J Med 2016;374:1511-20. DOI: 10.1056/NEJMoa1602001


Question clinique
Chez des adultes avec ischémie coronarienne et fraction d’éjection ventriculaire gauche ≤ 35%, quelle est l’efficacité d’une intervention de pontage(s) coronarien(s) en ajout à un traitement médical optimal versus traitement médical seul, à long terme (10 ans) ?


Conclusion
Les résultats à 10 ans de suivi de cette RCT montrent des résultats enfin significativement favorables (non significatifs à 56 mois) pour l’ajout d’une intervention de pontages coronariens à un traitement médical optimal versus traitement médical seul chez des patients avec ischémie coronarienne et diminution de la fraction d’éjection ventriculaire gauche, en termes de décès de toute cause.


Contexte

Avant l’utilisation d’endoprothèses coronariennes, l’intérêt d’un pontage coronarien avait été montré en 1985 versus traitement médical dans une RCT (1) en termes de survie à 7 ans pour des patients présentant un angor stable, avec fraction d’éjection diminuée (> 0,34 mais < 0,50) et lésion de 3 artères (mais non en cas de lésion simple ou double). Le traitement médical de tels patients a fortement évolué depuis lors. En 2011, une autre RCT, l’étude STICH (Surgical Treatment for Ischemic Heart Failure), ne montrait pas de différence sur un suivi médian de 56 mois entre les deux types de traitement pour des patients avec cardiopathie ischémique, insuffisance cardiaque et fraction d’éjection ventriculaire gauche diminuée, en termes de mortalité globale (2). Les résultats à plus long terme (10 ans) de cette étude ont été publiés en 2016.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 1212 patients adultes avec ischémie coronarienne, fraction d’éjection ventriculaire gauche ≤ 35%, avec indication potentielle de pontage suivant les résultats de l’angiographie coronarienne : absence de sténose du tronc commun d’au moins 50% et d’angor de classe III ou IV (classification de Canadian Cardiovascular Society) sous traitement médical
  • critères d’exclusion (de cette partie-ci de l’étude) : e.a. valvulopathie à opérer, angioplastie percutanée prévue, patients éligibles pour une reconstruction ventriculaire chirurgicale (patients enrôlés dans un autre volet d’étude)
  • principales caractéristiques des patients inclus : âge médian de 59-60 ans, 12% de femmes, 39-40% de diabète, 20-21% de fumeurs, 59-61% d’HTA, 76-78% d’antécédent d’infarctus du myocarde ; 1/3 des patients avec lésion de 3 vaisseaux ; 20% des patients dans le bras médical avec pontage coronarien en cours d’étude.

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée, non en aveugle, multicentrique (99 sites), internationale (22 pays, surtout en Pologne) pour la comparaison ajout de pontage versus traitement médical
  • traitement évalué : traitement médical (n= 602) c.-à-d. médication optimale (et dispositifs) pour les traitements recommandés pour l’insuffisance cardiaque et l’ischémie coronarienne (suivant les GPC en vigueur) sous l’égide d’un comité thérapeutique versus ce même traitement médical + intervention de pontage coronarien (CABG pour Coronary-Artery Bypass Grafting) par un chirurgien expérimenté (n = 610)
  • suivi moyen prévu pour 3 ans environ, ensuite porté à 5 ans, puis prolongé de 5 ans
  • analyse en ITT
  • première publication des résultats sur un suivi médian de 56 mois (2), ici sur un suivi médian de 9,8 ans.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : décès de toute cause
  • critères secondaires : décès de cause cardiovasculaire ; décès de toute cause ou hospitalisation pour motif cardiaque ; décès de toute cause ou hospitalisation pour insuffisance cardiaque ; décès de toute cause ou hospitalisation pour tout motif ; décès de toute cause ou revascularisation.

 

Résultats

  • 25 patients sans évaluation dans la dernière période de suivi
  • critère primaire : décès de toute cause : 58,9% dans le groupe CABG et 66,1% sous traitement médical seul, soit un HR à 0,84 avec un IC à 95% de 0,73 à 0,97 et p = 0,02 ; survie médiane de 1,44 an plus longue dans le groupe CABG ; NNT de 14 (avec IC à 95% de 8 à 55) pour éviter 1 décès
  • critères secondaires :
    • décès de cause cardiovasculaire : HR de 0,79 avec IC à 95% de 0,66 à 0,93 avec p = 0,006 ; NNT de 11
    • décès de toute cause ou hospitalisation cardiovasculaire : HR de 0,72 avec IC à 95% de 0,64 à 0,82 avec p < 0,001
    • décès de toute cause ou hospitalisation pour tout motif (83% versus 89,4%, incidences les plus élevées) : HR de 0,81 avec IC à 95% de 0,71 à 0,91 avec p = 0,001.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que dans une cohorte de patients avec cardiomyopathie ischémique, les proportions de décès de toute cause, de décès cardiovasculaires et de décès de toute cause ou d’hospitalisations pour motif cardiovasculaire sont significativement plus basses sur 10 ans chez les patients ayant subi une intervention de pontage coronarien en ajout à un traitement médical que chez ceux qui n’ont bénéficié que du seul traitement médical.

 

Financement de l’étude

National Institutes of Health USA.

 

Conflits d’intérêts des auteurs

Le premier auteur déclare avoir reçu différents honoraires de différentes firmes pharmaceutiques ; le dernier auteur cité déclare avoir reçu un financement d’une firme.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette RCT de méthodologie correcte repose sur un protocole bien élaboré. L’analyse des caractéristiques initiales des patients ne montre pas de différence notoire entre les deux bras d’étude. Si cette étude n’est pas en double-aveugle, la randomisation est cependant bien aléatoire (système de réponse vocale interactive) et l’adjudication des complications (post)opératoires et du critère de jugement décès est centralisée pour déterminer la cause du décès, en insu du traitement reçu. Pour le critère revascularisation, l’absence d’insu pourrait avoir influencé les chercheurs. Pour les patients attribués au groupe CABG, cette intervention devait avoir lieu dans les 14 jours ; la médiane de délai a été de 10 jours (intervalle interquartile de 5 à 16) et 91% des patients ont été opérés durant l’étude. Dans le groupe traitement médical seul, 19,8% des patients ont eu une CABG avant l’évaluation finale à 10 ans. Les analyses comparatives en fonction du traitement réellement effectué (CABG) et par protocole (exclusion des patients avec CABG sous traitement médical seul et des patients sans CABG dans le bras CABG) confirment des résultats significatifs pour le critère primaire, même légèrement plus en faveur d’une intervention CABG (HR respectivement de 0,75 et 0,77). Le traitement médical optimal a été bien suivi dans les deux bras et est semblable initialement. Le status final a été obtenu pour 97,9% des patients inclus.

 

Interprétation des résultats

Comparer les résultats de cette étude-ci avec ceux d’anciennes études porte à faux. Par rapport aux études réalisées il y a 30 ans, les traitements médicaux et les techniques chirurgicales se sont bien améliorés, par exemple l’intérêt des statines pour éviter l’occlusion du pontage (veineux) (3) ou l’utilisation de l’artère mammaire interne pour le greffon (91,0% dans cette étude, 9,9% en 1994) (4) plutôt qu’un greffon veineux saphène. Les chirurgiens impliqués devaient montrer des preuves d’une mortalité opératoire de maximum 5% dans leur expérience personnelle récente pour des patients semblables à ceux à inclure (la mortalité a été de 4% dans les 30 jours post randomisation dans le groupe CABG versus 1% pour le traitement médical seul, HR de 3,12 avec IC à 95% de 1,33 à 7,31).

Si les résultats à 10 ans sont significatifs pour le critère de jugement primaire, les décès, alors qu’ils ne l’étaient pas à 56 mois après randomisation (2), c’est très probablement en raison de l’augmentation (forte) du nombre de décès : 59% des patients dans le bras CABG, 66% sous traitement médical seul, 62,5% au total (pour une population de 59-60 ans d’âge médian initial).

Une analyse en sous-groupes effectuée par les auteurs confirme un bénéfice significatif d’une CABG en cas de lésion vasculaire triple ≥ à 75% (HR à 0,68 avec IC à 95% de 0,54 à 0,86) mais non en cas de sténose de 0,1 ou 2 vaisseau(x) ≥ à 75%.

Une autre analyse en sous-groupes montre qu’un bénéfice statistiquement significatif n’est pas observé pour les patients âgés d’au moins 60 ans (HR à 0,91 avec IC à 95% de 0,75 à 1,10) alors qu’il l’est pour le groupe des < 60 ans (HR à 0,75 avec IC à 95 % de 0,60 à 0,93).

 

Mise en perspective de ces résultats

Pontage coronarien

Une méta-analyse en réseau publiée en 2014 concluait, pour des patients avec une pathologie coronarienne stable, à un bénéfice d’un pontage versus traitement médical en termes de mortalité (5) mais sans préciser le bénéfice en fonction de la localisation des lésions coronaires pontées. Nous avons analysé dans la revue Minerva (6) une RCT montrant la plus-value d’un traitement invasif (angioplastie percutanée 47% versus CABG 3% des patients) en ajout à un traitement médical versus traitement médical seul chez des sujets âgés octogénaires présentant un infarctus myocardique NSTEMI ou un angor instable (7). Chez des patients présentant un diabète, un pontage semble plus efficace qu’une angioplastie (avec mise en place d’une endoprothèse métallique ou pharmacoactive) pour un critère composite (mortalité de toute cause, infarctus du myocarde non fatal, AVC) (8).

 

Angioplastie percutanée

Nous avons précédemment présenté dans la revue Minerva (9), les résultats d’une RCT (10) montrant qu'en présence d’un angor stable, le recours systématique à une angioplastie coronaire immédiate en ajout à une prise en charge médicamenteuse et hygiéno-diététique optimale ne permettait pas d'améliorer le pronostic (décès et/ou infarctus) sur une période de suivi d'environ 5 ans, constatation confirmée (11) dans une méta-analyse (en réseau) prenant en considération les techniques plus récentes de mise en place d’endoprothèses (métalliques ou médicamenteuses), en termes de mortalité et de prévention d’infarctus du myocarde en cas d’ischémie coronarienne non aiguë (12).

Une autre méta-analyse concluait en 2012 que la mise en place de stents n’apportait pas d’avantage à moyen terme (plus de 4 ans) par rapport aux traitements médicamenteux en termes de décès, d’infarctus du myocarde non fatal, de revascularisation non planifiée et de plaintes d’angor (13).

Un suivi jusqu’à 15 ans de la RCT précitée (étude COURAGE, 9) ne montre pas d’intérêt de l’ajout d’une angioplastie percutanée à un traitement médical en cas d’angor stable (14).

Une étude d’observation sur un suivi moyen de 2,9 ans ne montre pas d’avantage pour une angioplastie avec endoprothèse libérant de l’évérolimus versus pontages en termes de décès mais avec un risque plus grand d’infarctus du myocarde (en cas de revascularisation incomplète) et de nouvelle revascularisation, et avec un risque diminué de survenue d’un AVC (15).

 

Conclusion de Minerva

Les résultats à 10 ans de suivi de cette RCT montrent des résultats enfin significativement favorables (non significatifs à 56 mois) pour l’ajout d’une intervention de pontages coronariens à un traitement médical optimal versus traitement médical seul chez des patients avec ischémie coronarienne et diminution de la fraction d’éjection ventriculaire gauche, en termes de décès de toute cause.

 

Pour la pratique

Le guide de pratique clinique européen concernant la pathologie coronarienne stable (16) recommande une revascularisation pour améliorer le pronostic en cas de sténose du tronc commun (gauche) > 50% (forte preuve), de toute lésion proximale de l’interventriculaire antérieure proximale > 50% (forte preuve), d’atteinte de 2-3 vaisseaux avec fonction ventriculaire gauche altérée/ insuffisance cardiaque (preuve moyenne) ou de zone large d’ischémie documentée (> 10% du ventricule gauche) (preuve moyenne). Une préférence pour une intervention de pontages (CABG) versus angioplastie percutanée est donnée en fonction de la localisation et de la sévérité des sténoses (score SYNTAX est un score de stratification du risque qui a été développé pour évaluer la complexité anatomique des lésions coronaires chez les patients ayant une maladie de l'artère coronaire gauche, ou une maladie des trois vaisseaux. Le score est un prédicteur indépendant des effets indésirables cardiaques et cérébrovasculaires à long terme chez les patients subissant une angioplastie percutanée. Il est donc utile à la décision du traitement optimal pour identifier les patients à risque élevé d'effets indésirables après angioplastie percutanée.">score SYNTAX).

Cette RCT montre un intérêt à 10 ans d’évolution d’une intervention de pontages en cas de sténose ≥ 75% de 3 vaisseaux chez des patients avec fraction d’éjection ventriculaire gauche ≤ 35%.

 

 

Références 

  1. Passamani E, Davis KB, Gillespie MJ, Killip T. A randomized trial of coronary artery bypass surgery. Survival of patients with a low ejection fraction. N Engl J Med 1985;312:1665-71. DOI: 10.1056/NEJM198506273122603
  2. Velazquez EJ, Lee KL, Deja MA, et al. Coronary-artery bypass surgery in patients with left ventricular dysfunction. N Engl J Med 2011;364:1607-16. DOI: 10.1056/NEJMoa1100356
  3. Kulik A, Voisine P, Mathieu P, et al. Statin therapy and saphenous vein graft disease after coronary bypass surgery: analysis from the CASCADE randomized trial. Ann Thorac Surg 2011;92:1284-90. DOI: 10.1016/j.athoracsur.2011.04.107
  4. Yusuf S, Zucker D, Peduzzi P, et al. Effect of coronary artery bypass graft surgery on survival: overview of 10-year results from randomised trials by the Coronary Artery Bypass Graft Surgery Trialists Collaboration. Lancet 1994;344:563-70.
  5. Windecker S, Stortecky S, Stefanini GG, et al. Revascularisation versus medical treatment in patients with stable coronary artery disease: network meta-analysis. BMJ 2014;348:g3859. DOI: 10.1136/bmj.g3859
  6. Chevalier P. Infarctus du myocarde NSTEMI ou angor instable après l’âge de 80 ans : traitement conservateur ou invasif ? MinervaF 2016;15(7):180-3.
  7. Tegn N, Abdelnoor M, Araberge L, et al. Invasive versus conservative strategy in patients aged 80 years or older with non-ST-elevation myocardial infarction or unstable angina pectoris (After Eighty study): an open-label randomised controlled trial. Lancet 2016;387:1057-65. DOI: 10.1016/S0140-6736(15)01166-6
  8. Tu B, Rich B, Labos C, Brophy JM. Coronary revascularization in diabetic patients: a systematic review and Bayesian network meta-analysis. Ann Intern Med 2014;161:724-32. DOI: 10.7326/M14-0808
  9. Schröder E. Quelle place pour l'angioplastie coronaire en sus d'un traitement médical optimal dans le contexte de l'angor stable ? MinervaF 2008;7(1):2-3.
  10. Boden WE, O'Rourke RA, Teo KK, et al; COURAGE Trial Research Group. Optimal medical therapy with or without PCI for stable coronary disease. N Engl J Med 2007;356:1503-16. DOI: 10.1056/NEJMoa070829
  11. Chevalier P. Angor non aigu : traitement médical ou intervention ? MinervaF 2010;9(2):27.
  12. Trikalinos TA, Alsheikh-Ali AA, Tatsioni A, et al. Percutaneous coronary interventions for non-acute coronary artery disease: a quantitative 20-year synopsis and a network meta-analysis. Lancet 2009;373:911-8. DOI: 10.1016/S0140-6736(09)60319-6
  13. Stergiopoulos, K. & Brown, D. L. Initial coronary stent implantation with medical therapy vs medical therapy alone for stable coronary artery disease: meta-analysis of randomized controlled trials. Arch Intern Med 2012;172:312-9. DOI: 10.1001/archinternmed.2011.1484
  14. Sedlis SP, Hartigan PM, Teo KK, et al ; COURAGE Trial Investigators. Effect of PCI on long-term survival in patients with stable ischemic heart disease. N Engl J Med 2015;12;373:1937-46. DOI: 10.1056/NEJMoa1505532
  15. Bangalore S, Guo Y, Samadashvili Z, et al. Everolimus-eluting stents or bypass surgery for multivessel coronary disease. N Engl J Med 2015;372(13):1213-22. DOI: 10.1056/NEJMoa1412168
  16. Montalescot G, Sechtem U, Achenbach S, et al. 2013 ESC guidelines on the management of stable coronary artery disease. The Task Force on the management of stable coronary artery disease of the European Society of Cardiology. Eur Heart J 2013;34:2949–3003. DOI: 10.1093/eurheartj/eht296

 

 




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