Revue d'Evidence-Based Medicine



Du jus de pomme dilué au lieu d’une solution de réhydratation orale en cas de gastroentérite aiguë légère chez l’enfant ?



Minerva 2017 Volume 16 Numéro 2 Page 35 - 38

Professions de santé

Médecin généraliste

Analyse de
Freedman SB, Willan AR, Boutis K, Schuh S. Effect of dilute apple juice and preferred fluids vs electrolyte maintenance solution on treatment failure among children with mild gastroenteritis: a randomized clinical trial. JAMA 2016;315:1966-74. DOI: 10.1001/jama.2016.5352


Question clinique
Chez l’enfant âgé de 6 mois à 5 ans, en cas de gastroentérite aiguë et de déshydratation mineure, la prise de jus de pomme dilué suivie de sa boisson préférée conduit-elle à plus de déshydratations graves - c.-à-d. nécessitant une réhydratation par voie intraveineuse et une hospitalisation - qu’avec la prise d’une solution de réhydratation orale ?


Conclusion
Cette étude clinique contrôlée, randomisée, menée en simple aveugle, qui a été correctement menée d’un point de vue méthodologique, permet de conclure qu’il n’y a pas de raisons de conseiller spécifiquement une solution de réhydratation orale préventive chez les enfants en bonne santé âgés de 6 mois à 5 ans qui pèsent plus de 8 kg et qui sont amenés aux urgences pour une gastroentérite aiguë avec peu ou pas de signes de déshydratation. Encourager à prendre suffisamment de liquides, avec du jus de pomme dilué puis et une boisson appréciée, n’était pas inférieur à une solution de réhydratation orale pour prévenir la nécessité d’une réhydratation intraveineuse.


Contexte

Les solutions de réhydratation orale sont recommandées pour traiter la gastroentérite aiguë accompagnée d’une déshydratation modérée chez l’enfant (1). Elles sont également conseillées en traitement préventif chez les enfants présentant un risque élevé de déshydratation (1). Les preuves étayant cette approche proviennent principalement d’études qui ont été menées dans des pays à revenus faibles ou modérés.

 

Résumé

Population étudiée

  • 647 enfants âgés de 6 mois à 5 ans (âge moyen de 28,3 mois (ET 15,9)), dont 51,1% de sexe masculin, qui pesaient au moins 8 kg (moyenne 15 kg (ET 12)), qui avaient présenté, au cours des dernières 24 heures, au moins 3 épisodes de vomissement ou de diarrhée, les symptômes étant présents depuis moins de 96 heures, et qui montraient des signes mineurs de déshydratation (score < 5 sur l’échelle clinique de déshydratation et temps de remplissage capillaire < 2 secondes) (68,2% ne présentaient aucun signe de déshydratation) ; recrutement au service des urgences d’un hôpital universitaire pour enfants à Toronto
  • critères d’exclusion : affection gastro-intestinale chronique (maladie intestinale inflammatoire, maladie cœliaque...) ou autre (diabète sucré…), prématurité, enfant âgé de < 6 mois, vomissements bilieux, hématémèse, perte de sang rouge par l’anus, signes cliniques d’abdomen aigu, nécessité immédiate d’une réhydratation intraveineuse.

 

Protocole de l’étude

Étude contrôlée, randomisée, menée en simple aveugle

  • avec 2 bras d’étude
    • jus de pomme dilué (avec de l’eau dans un rapport de 1/1) jusqu’à 2 litres, suivi par une boisson préférée de l’enfant (lait, jus de fruit, boisson rafraîchissante, boisson pour sportif…) (n = 323)
    • solution de réhydratation orale (SRO) (de la même couleur que le jus de pomme et contenant du sucralose comme édulcorant) jusqu’à 2 litres, suivie par le conseil d’éviter les boissons avec des concentrations non physiologiques en glucose et électrolytes (n = 324)
  • au service des urgences, tous les enfants ont reçu, toutes les 2 à 5 minutes, 5 ml du liquide attribué ; les enfants qui vomissaient, ont reçu de l’ondansétron per os ; après l’examen clinique (pour tous les enfants), le médecin des urgences décidait si la même réhydratation orale pouvait être poursuivie ou si une autre devait être instaurée, ou et si une réhydratation intraveineuse était nécessaire
  • à la sortie de l’hôpital, les parents recevaient la consigne de donner 10 ml/kg de liquide pour chaque épisode de diarrhée et 2 ml/kg pour chaque épisode de vomissement
  • suivi : par contact téléphonique quotidien jusqu’à 24 heures sans symptômes ; par courrier après 5 appels téléphoniques restés sans réponse ; par un carnet avec enregistrement des visites chez un médecin, de la fréquence des vomissements et de la diarrhée ; par 2 banques de données provinciales pour les informations concernant les visites aux urgences, les hospitalisations et les effets indésirables.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : échec du traitement, critère de jugement composite comprenant la survenue dans les 7 jours d’un des éléments suivants : 1) décision du médecin des urgences de passer à une autre forme de réhydratation (cross over du traitement alloué), 2) perte de poids ≥ 3% ou score ≥ 5 sur l’échelle clinique de déshydratation, 3) hospitalisation ou réhydratation intraveineuse, 4) visite non prévue chez un médecin, 5) persistance des vomissements ou de la diarrhée (≥ 3x en 24 heures) plus de 7 jours après la randomisation
  • critères de jugement secondaires : réhydratation intraveineuse aux urgences ou au cours d’une visite ultérieure dans les 7 jours, hospitalisation suite au passage aux urgences ou à l’occasion d’une visite ultérieure dans les 7 jours, fréquence de la diarrhée et des vomissements, pourcentage du changement de poids après 72 à 84 heures, les éléments distincts du critère de jugement primaire
  • analyse en intention de traiter.

 

Résultats

  • critère de jugement primaire
    • moins d’échecs du traitement avec le jus de pomme dilué qu’avec la SRO: 54/323 (16,7%) versus 81/324 (25%) ; différence de -8,3% (avec IC à 97,5% de -∞ à -2,0% ; p < 0,001 pour la non-infériorité et p = 0,006 pour la supériorité)
  • critères de jugement secondaires
    • moins de réhydratation intraveineuse dans les 7 jours dans le groupe recevant du jus de pomme dilué (2,5%) que dans le groupe recevant la SRO (9%) ; différence de -6,5% (avec IC à 99% de -11,6 à -1,8%)
    • moins de réhydratation intraveineuse aux urgences dans le groupe recevant du jus de pomme dilué (0,9%) que dans le groupe recevant la SRO (6,8%) ; différence de -5,9% (avec IC à 99% de -10,5 à -2%)
    • pas de différence quant à la fréquence des vomissements et de la diarrhée, ni quant à la variation du poids.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que, chez les enfants présentant une légère gastroentérite avec déshydratation mineure, une hydratation orale initiale avec du jus de pomme dilué suivi par leur boisson préférée entraine moins d’échecs du traitement de réhydratation que l’hydratation avec une solution de réhydratation orale. Dans de nombreux pays à revenus élevés, l’utilisation du jus de pomme dilué et d’une boisson appréciée peut être acceptable en lieu et place d’une solution de réhydratation orale chez l’enfant présentant une gastroentérite légère accompagnée d’une déshydratation mineure.

 

Financement de l’étude

Physician Services Incorporated Foundation.

 

Conflits d’intérêts des auteurs

Aucun n’est mentionné.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

La méthodologie de cette étude est largement décrite. Parmi les 3668 enfants recrutés,    3021 ont été exclus. Il convient de remarquer que la principale raison d’exclusion était l’absence de personnel de recherche au moment de la consultation au service des urgences (1297/3021). Un biais de sélection n’est donc pas exclu car on n’a pas cherché à savoir s’il y avait une différence quant aux caractéristiques de base entre la population incluse et celle exclue. La randomisation a été effectuée par ordinateur en blocs de 8 patients en respectant le étude clinique randomisée (RCT), les sujets appartenant à la population faisant l’objet de l’étude sont distribués de façon aléatoire (par exemple à l’aide d’enveloppes fermées) entre groupe(s) expérimental(aux) et groupe(s)-témoin. L’allocation en aveugle se réfère au fait que l’on tient secrète (ou aveugle) la répartition des patients entre les différents groupes constitués pour la recherche. Cela signifie que celui qui constitue les groupes (par exemple en distribuant les enveloppes) ne connaît pas le contenu de l’enveloppe et que le code ne peut pas être identifié. De cette manière on évite le biais d’attribution (ou d’allocation).">secret d'attribution. Les caractéristiques de base ne différaient pas entre le groupe intervention et le groupe contrôle. Il est également bien décrit que le personnel soignant du service des urgences ne savait pas quel traitement était administré. Les deux solutions (jus de pomme dilué et solution de réhydratation orale) étaient de couleur identique, et, en outre, la consigne donnée à la sortie de l’hôpital d’éviter ou non les boissons sucrées, était remise séparément aux parents dans une enveloppe cachetée. Les enfants et les parents pouvaient savoir quel traitement était appliqué par la différence de goût entre les solutions et par la différence entre les conseils reçus. Malgré la description approfondie de la méthodologie, il manque des informations sur les critères clairs pour instaurer une réhydratation intraveineuse au service des urgences.

Les investigateurs ont mis tout en œuvre pour que le suivi soit optimalisé. La proportion de sorties d’étude est faible. Seuls 3 patients n’ont pas pu être inclus dans l’analyse en intention de traiter. Les investigateurs voulaient en premier lieu montrer la non-infériorité du jus de pomme dilué versus une solution de réhydratation orale. L’effet de la solution de réhydratation orale dans cette population de patients n’a pas été clairement démontré, nous pouvons dès lors mettre en doute le choix arbitraire de la valeur du seuil de non-infériorité. La valeur p n’a pas non plus été adaptée lors du passage de l’étude vers un protocole de supériorité (2).

 

Mise en perspective des résultats

Cette étude unicentrique chez des nourrissons et de jeunes enfants présentant une gastroentérite aiguë avec peu ou pas de signes de déshydratation montre que le risque d’échec du traitement est plus important avec une solution de réhydratation orale qu’avec du jus de pomme dilué suivi d’une boisson appréciée. Une analyse post hoc a permis d’observer qu’il n’était pas possible de prouver la non-infériorité pour différentes tranches d’âge et aussi qu’un avantage statistiquement significatif pour le groupe recevant du jus de pomme dilué n’apparaissait qu’à partir de l’âge de quatre ans et demi. Une analyse supplémentaire portant sur le critère de jugement primaire composite a montré que seul le critère « réhydratation intraveineuse » était moins fréquent de manière statistiquement significative, dans le groupe recevant du jus de pomme dilué. En outre, un autre critère de jugement secondaire a montré une différence statistiquement significative que pour la réhydratation intraveineuse au service des urgences. Cela laisse supposer que les enfants plus âgés, dont le goût s’est développé, buvaient sans doute plus facilement le jus de pomme qu’une solution de réhydratation orale et donc que l’indication pour une réhydratation intraveineuse aurait pu être moins rapide pour ces enfants.

L’étude n’a pas pu montrer de différence en termes d’hospitalisations et de visites non prévues chez le médecin. Une étude clinique randomisée plus ancienne (3) a cependant montré une diminution du nombre de consultations ultérieures non prévues avec la prise préventive de solutions de réhydratation orale (nombre de sujets à traiter (NST) de 16 avec IC à 95% de 8 à 508), mais n’a pas trouvé de différence en termes d’hospitalisation. Il n’y avait pas non plus de différence, entre les 2 groupes, quant à la fréquence des selles. Cela contredit la recommandation d’éviter les boissons hyperosmolaires, telles que le jus de pomme, le jus de fruit et les boissons rafraîchissantes à cause du risque de diarrhée osmotique (1). Une recherche antérieure a montré que la prise de jus de fruit augmentait la diarrhée seulement le premier jour (4). Il est à noter que, dans la phase initiale de la présente étude, on utilisait du jus de pomme dilué et donc aucune boisson hyperosmolaire.

Cette recherche a été menée dans un service d’urgence, et il n’est donc pas certain que ces résultats puissent être extrapolés à la première ligne de soins. En outre, les enfants qui présentaient une déshydratation sévère ont été exclus, ce qui limite par exemple le risque d’intoxication hydrique avec des liquides hypo-osmolaires.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude clinique contrôlée, randomisée, menée en simple aveugle, qui a été correctement menée d’un point de vue méthodologique, permet de conclure qu’il n’y a pas de raisons de conseiller spécifiquement une solution de réhydratation orale préventive chez les enfants en bonne santé âgés de 6 mois à 5 ans qui pèsent plus de 8 kg et qui sont amenés aux urgences pour une gastroentérite aiguë avec peu ou pas de signes de déshydratation. Encourager à prendre suffisamment de liquides, avec du jus de pomme dilué puis et une boisson appréciée, n’était pas inférieur à une solution de réhydratation orale pour prévenir la nécessité d’une réhydratation intraveineuse.  

 

Pour la pratique

Les solutions de réhydratation orale (SRO) sont recommandées pour traiter les enfants présentant une gastroentérite aiguë avec déshydratation modérée. A cet effet, il est recommandé de faire prendre fréquemment de petites quantités de SRO à raison de 50 à 75 ml/kg pendant une période de 4 à 6 heures (GRADE 1B). La présente étude montre qu’il n’est pas nécessaire, chez les enfants en bonne santé âgés de 6 mois à 5 ans qui présentent une gastroentérite aiguë avec peu ou pas de signes de déshydratation, d’administrer spécifiquement des solutions de réhydratation orale. Encourager une consommation suffisante de liquides avec des boissons courantes, telles que du jus de pomme dilué, semble une bonne alternative. Cette étude ne permet pas de se prononcer sur l’importance d’un traitement préventif chez les enfants qui ont un risque élevé de déshydratation. Les nourrissons de moins de 6 mois qui sont atteints d’une gastroentérite aiguë ont un risque accru de déshydratation. Pour cette tranche d’âge, il est probablement plus important de consommer préventivement une solution de réhydratation orale pour compenser la perte de liquides suite à une diarrhée ou des vomissements (1).

 

 

Références  

  1. Van Winckel M, Chevalier P, De Loof G, et al. Acute gastro-enteritis. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering. Huisarts Nu 2011;40:S118-36.
  2. Chevalier P. Etude de non infériorité : intérêt, limites et pièges. MinervaF 2009;8(7):100.
  3. Duggan C, Lasche J, McCarty, et al. Oral rehydration solution for acute diarrhea prevents subsequent unscheduled follow-up visits. Pediatrics 1999;104:e29.
  4. Valois S, Costa-Ribeiro H Jr, Mattos A, et al. Controlled, double-blind, randomized clinical trial to evaluate the impact of fruit juice consumption on the evolution of infants with acute diarrhea. Nutr J 2005;4:23. DOI: 10.1186/1475-2891-4-23



Ajoutez un commentaire

Commentaires