Revue d'Evidence-Based Medicine



Comment déterminer le risque de pré-éclampsie ?



Minerva 2017 Volume 16 Numéro 6 Page 138 - 141

Professions de santé

Infirmier, Médecin généraliste, Sage-femme

Analyse de
Bartsch E, Medcalf K, Park A, Ray J; High Risk of Pre-eclampsia Identification Group. Clinical risk factors for pre-eclampsia determined in early pregnancy: systematic review and meta-analysis of large cohort studies. BMJ 2016;353:i1753. DOI: 10.1136/bmj.i1753


Question clinique
Quels sont les facteurs de risque de pré-éclampsie à dépister avant la 16e semaine de grossesse ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyses montre que des facteurs de risque facilement identifiables avant la 16e semaine de grossesse sont associés à un risque accru de pré-éclampsie. Un avantage cliniquement pertinent de l’utilisation préventive de l’aspirine en termes de réduction de ce risque n’est montré que pour le syndrome des antiphospholipides, l’hypertension artérielle chronique, les antécédents de pré-éclampsie, le diabète sucré, l’IMC > 30 et la procréation médicalement assistée.


Contexte

Différentes méta-analyses ont montré que le risque relatif de prééclampsie diminue de 20 à 40% lorsque les patientes qui présentent un risque modéré à élevé prennent de l’aspirine (1-3). La méta-analyse la plus récente sur le sujet a montré que l’avantage est plus important lorsque la prise d’aspirine débute avant la 16e semaine de grossesse (3). L’estimation du risque de pré-éclampsie varie fortement entre les différentes études randomisées contrôlées. Certaines études ont utilisé l’échographie en plus des paramètres cliniques (4,5). Selon le guide de pratique clinique (GPC) le plus récent (6), une faible dose d’aspirine est recommandée en présence d’au moins un des facteurs de risque suivants : antécédents de pré-éclampsie, grossesse multiple, hypertension artérielle chronique (≥ 140/90 mmHg), diabète sucré de type I ou II, néphropathie et maladies auto-immunes (telles que le lupus érythémateux disséminé et le syndrome des antiphospholipides). Mais aucune étude n’a encore examiné l’importance absolue et relative de ces différents facteurs (ainsi que d’autres).

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyses

Sources consultées

  • PubMed et Embase de 2000 à juin 2015
  • uniquement les publications en anglais dont un abstract est disponible.

Études sélectionnées

  • 92 études de cohorte de grande ampleur (n ≥ 1000) (37 études prospectives et 55 études rétrospectives) qui examinaient le rapport entre la pré-éclampsie et au moins un facteur de risque présent lors d’une précédente grossesse ou de la grossesse actuelle avant la 16ème semaine de grossesse ; mentionnant le nombre de cas de pré-éclampsie dans le groupe exposé et dans le groupe non exposé ; se limitant aux facteurs de risque spécifiques aux patientes éventuellement présents au cours du premier trimestre et dont la patiente peut facilement se souvenir ou que le médecin peut facilement retrouver dans le dossier de la précédente grossesse.

Population étudiée

  • 25356688 grossesses dans 27 pays (40 études en Europe et 30 en Amérique du Nord), en moyenne 275616 participantes par étude (ET 704906) ; 57 études se sont limitées aux grossesses à un seul enfant ; 9 études ont exclu les grossesses avec bébé mort-né, et 18 études ont exclu les grossesses avec diagnostic prénatal ou post-natal de malformation congénitale.

Mesure des résultats

  • risque relatif (RR) cumulé avec intervalle de confiance (IC) à 95% pour chaque facteur de risque, calculé sur la base du nombre de cas cumulés de pré-éclampsie dans le groupe exposé et dans le groupe non exposé
  • fraction attribuable dans la population (FAP) pour chaque facteur de risque, calculée sur la base du risque relatif cumulé
  • pour 3 facteurs de risque (antécédents de prééclampsie, hypertension artérielle chronique et IMC > 30 pour la grossesse), une analyse de sensibilité (uniquement avec les études prospectives) était réalisée, ainsi qu’un graphique en entonnoir (funnel plot), et on a contrôlé dans une analyse post-hoc si les risques relatifs calculés correspondaient aux risques relatifs corrigés tels que mentionnés dans l’étude originale
  • nombre de sujets nécessaire pour prévenir un évènement (number needed to prevent, NNP) grâce à l’aspirine en présence d’un facteur de risque déterminé, selon que l’on considère une réduction du risque relatif dans la pré-éclampsie de 10%, de 30% et de 50% avec l’aspirine.

Résultats

  • le risque relatif cumulé était, de manière statistiquement significative, supérieur à 1,0 pour chaque facteur de risque sauf pour le retard de croissance intra-utérin et pour le lupus érythémateux disséminé ; le RR était le plus élevé en cas d’antécédents de pré-éclampsie ou d’hypertension artérielle chronique (voir le tableau)
  • la nulliparité avait la FAP la plus élevée (32,3% (IC à 95% de 27,4 à 37%)), suivie par l’IMC > 25 avant la grossesse (23,8% (IC à 95% de 22 à 25,6%)) et les antécédents de pré-éclampsie (22,8% (IC à 95% de 19,6 à 26,3%))
  • le résultat n’était pas différent dans l’analyse de sensibilité, les graphiques en entonnoir étaient globalement symétriques, et les risques calculés correspondaient (> 75%) aux risques relatifs corrigés publiés
  • en supposant une réduction du risque relatif de 30% et 50% avec l’administration d'une dose basse d'aspirine, les NNP de tous les facteurs de risque sont sous le seuil de 250 ; en supposant une réduction du risque relatif de 10%, ce n’est que pour le syndrome des antiphospholipides, l’hypertension artérielle chronique, les antécédents de pré-éclampsie, le diabète sucré, l’IMC > 30 et la procréation médicalement assistée que la limite supérieure de l’intervalle de confiance à 95% des NNP est sous de seuil de 250.

 

Tableau : Risque relatif (RR) cumulé statistiquement significatif avec intervalle de confiance (IC) à 95%, et hétérogénéité statistique, pour la pré-éclampsie avec un facteur de risque déterminé.

 

RR (IC à 95%)

Antécédents de pré-éclampsie

8,4 (7,1 - 9,9)

96

Hypertension artérielle chronique

5,1 (4,0 - 6,5)

98

Diabète

3,7 (3,1 - 4,3)

79

Grossesse multiple

2,9 (2,6 - 3,1)

67

IMC > 30 avant la grossesse

2,8 (2,6 - 3,1)

98

Syndrome des antiphospholipides

2,8 (1,8 - 4,3)

0

Antécédents de mort-né

2,4 (1,7 - 3,4)

0

IMC > 25 avant la grossesse

2,1 (2,0 - 2,2)

89

Nulliparité

2,1 (1,9 - 2,4)

90

Antécédents de décollement du placenta

2,0 (1,4 - 2,7)

61

Néphropathie chronique

1,8 (1,5 - 2,1)

44

Procréation médicalement assistée

1,8 (1,6 - 2,1)

79

Age de la mère > 40 ans

1,5 (1,2 - 2,0)

95

Age de la mère > 35 ans

1,2 (1,1 - 1,3)

92

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’il existe plusieurs facteurs de risque clinique pratiques qui, seuls ou combinés, permettent de détecter précocement au cours de la grossesse les femmes ayant un risque élevé de développer une pré-éclampsie. Ces données peuvent être utilisées pour élaborer un modèle clinique de prédiction pour la pré-éclampsie et pour l’utilisation préventive de l’aspirine durant la grossesse.

Financement de l’étude

Bourse « Synthèse des connaissances » du Canadian Institutes for Health Research du Canada ; le troisième auteur occupe un siège au Canadian Institutes for Health Research du Canada.

Conflits dintérêts des auteurs 

Aucun conflit d’intérêts mentionné.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Les investigateurs de cette synthèse méthodique ont utilisé uniquement deux bases de données électroniques et n’ont recherché que les articles en anglais, publiés après 2000, dont un abstract était disponible. Malgré ces restrictions, ils ont trouvé un grand nombre d’études, et les graphiques en entonnoir n’ont pas permis de suspecter de biais de publication. Le fait de limiter les études à celles qui sont publiées en anglais est peut-être avantageux en ce sens que nous pouvons plus facilement extrapoler les résultats à notre contexte de soins puisque presque toutes les études ont été menées en Europe ou aux États-Unis. Deux auteurs, indépendamment l’un de l’autre, ont sélectionné les études et en ont extrait les données. En cas de désaccord, un troisième auteur était consulté. Seules les études de cohorte comptant plus de 1000 participantes ont été incluses ; la puissance est donc suffisante pour détecter des facteurs de risque moins fréquents mais potentiellement importants. En plus des études de cohorte prospectives, des études de cohorte rétrospectives ont également été incluses ; le biais de sélection était plus important pour ces dernières. Une analyse de sensibilité incluant uniquement les études de cohorte prospectives n’a cependant pas pu montrer de différence dans le risque relatif cumulé. Les études de cohorte devaient mentionner le nombre de cas de pré-éclampsie dans le groupe des exposées et dans celui des non exposées. Ce critère d’inclusion est important pour pouvoir calculer l’ampleur des effets cumulés. Deux tiers des études utilisaient une définition clinique standard de la pré-éclampsie. On s’est limité aux facteurs de risque identifiables de manière précise dans la pratique quotidienne avant la 16e semaine de grossesse et par ailleurs, des études ont montré que l’aspirine était plus efficace lorsqu’elle était débutée avant la 16e semaine (3). Les antécédents familiaux n’ont pas été retenus en raison du risque élevé de biais de déclaration. Étant donné l’importante hétérogénéité statistique, les investigateurs ont eu recours au modèle d’effets aléatoires. Minerva a déjà commenté les avantages et les limites de ce modèle (7). Il existait aussi une hétérogénéité clinique importante pour certains facteurs de risque. La néphropathie variait par exemple d’une insuffisance rénale modérée à une insuffisance rénale sévère.  

Interprétation des résultats

Le risque de pré-éclampsie était augmenté de manière statistiquement significative avec tous les facteurs de risque examinés, sauf avec les antécédents de retard de croissance intra-utérin et avec le lupus érythémateux disséminé. Les auteurs ont cependant signalé que le rapport entre la pré-éclampsie, d’une part, et le retard de croissance intra-utérin ou le lupus érythémateux disséminé d’autre part, n’a été examiné que dans respectivement une seule et deux études. Le risque relatif cumulé était le plus élevé en cas d’antécédents de pré-éclampsie et en cas d’hypertension artérielle chronique. Pour les deux critères de jugement, il y avait une concordance statistiquement significative avec les risques relatifs corrigés des publications originales.

Sur base du calcul des fractions attribuables dans la population, les facteurs de risque qui paraissent avoir le plus d’influence à l’échelle de la population sont la nulliparité, l’IMC > 25 et les antécédents de pré-éclampsie. Afin de déterminer quels sont les facteurs de risque qui pourraient avoir un rôle lors de l’estimation de l’utilité de la prise d’aspirine à titre préventif, on a calculé, pour chaque facteur de risque, le nombre de sujets nécessaire pour prévenir un évènement. Il s’agit du nombre de femmes présentant le facteur de risque à qui on devrait administrer de l’aspirine pour prévenir un cas de pré-éclampsie. La valeur seuil qui a été utilisée est un seuil de NNP de 250, ce qui correspond à un modeste gain de 0,05 du nombre de QALY (8). Si nous supposons une réduction du risque relatif de 30% et de 50% avec l’utilisation préventive d’aspirine, tous les facteurs de risque sont sous cette valeur seuil. Si nous utilisons une réduction du risque relatif plus conservatrice de 10%, nous voyons que la limite supérieure de l’intervalle de confiance à 95% des NNP est sous la valeur seuil de 250 seulement pour le syndrome des antiphospholipides, l’hypertension artérielle chronique, les antécédents de pré-éclampsie, le diabète sucré, l’IMC > 30 et la procréation médicalement assistée.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique avec méta-analyses montre que des facteurs de risque facilement identifiables avant la 16e semaine de grossesse sont associés à un risque accru de pré-éclampsie. Un avantage cliniquement pertinent de l’utilisation préventive de l’aspirine en termes de réduction de ce risque n’est montré que pour le syndrome des antiphospholipides, l’hypertension artérielle chronique, les antécédents de pré-éclampsie, le diabète sucré, l’IMC > 30 et la procréation médicalement assistée.

 

Pour la pratique

Pour prévenir la pré-éclampsie, une faible dose d’aspirine (environ 100 mg/j) est recommandée à partir de la 12e semaine de grossesse (GRADE B) (6). Selon une récente méta-analyse, le gain est le plus important lorsque ce traitement prophylactique est débuté avant la 16e semaine de grossesse (3). En attendant un modèle prédictif qui pondère les différents facteurs de risque, un traitement préventif par aspirine semble conseillé en présence des facteurs de risque suivants : le syndrome des antiphospholipides, l’hypertension artérielle chronique, les antécédents de pré-éclampsie, le diabète sucré, l’IMC > 30 et la procréation médicalement assistée.

 

 

Références  

  1. Duley L, Henderson-Smart DJ, Meher S, King JF. Antiplatelet agents for preventing pre-eclampsia and its complications. Cochrane Database Syst Rev 2007, Issue 2. DOI: 10.1002/14651858.CD004659.pub2
  2. Henderson JT, Whitlock EP, O'Connor E, Senger CA, et al. Low-dose aspirin for prevention of morbidity and mortality from preeclampsia: a systematic evidence review for the U.S. Preventive Services Task Force. Ann Intern Med 2014;160:695-703. DOI: 10.7326/M13-2844
  3. Roberge S, Nicolaides K, Demers S, et al. The role of aspirin dose on the prevention of preeclampsia and fetal growth restriction: systematic review and meta-analysis. Am J Obstet Gynecol 2017;216:110-120.e6. DOI: 10.1016/j.ajog.2016.09.076
  4. Dumontier E, Leconte S. Aspirine en prévention de la pré-éclampsie ? MinervaF 2013;12(9):110-11.
  5. Villa PM, Kajantie E, Raïkkönen K, et al; PREDO Study group. Aspirin in the prevention of pre-eclampsia in high-risk women: a randomised placebo-controlled PREDO Trial and a meta-analysis of randomised trials. BJOG 2012;120:164-74. DOI: 10.1111/j.1471-0528.2012.03493.x
  6. LeFevre ML; U.S. Preventive Services Task Force. Low-dose aspirin use for the prevention of morbidity and mortality from preeclampsia: U.S. Preventive Services Task Force recommendation statement. Ann Intern Med 2014;161:819-26. DOI: 10.7326/M14-1884
  7. Chevalier P, van Driel M, Vermeire E. Hétérogénéité dans les synthèses méthodiques et méta-analyses. MinervaF 2007;6(10):160.
  8. Bartsch E, Park AL, Kingdom JC, Ray JG. Risk threshold for starting low dose aspirin in pregnancy to prevent preeclampsia: an opportunity at a low cost. PLoS One 2015;10:e0116296. DOI: 10.1371/journal.pone.0116296

 

 




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