Revue d'Evidence-Based Medicine



Efficacité de l’administration en continu d’oxygène à long terme chez le patient BPCO stable avec une hypoxémie modérée ?



Minerva 2017 Volume 16 Numéro 7 Page 171 - 175

Professions de santé

Médecin généraliste

Analyse de
The Long-Term Oxygen Treatment Trial Research Group; Albert RK, Au DH, Blackford AL, et al. A randomized trial of long-term oxygen for COPD with moderate desaturation. N Engl J Med 2016;375:1617-27. DOI: 10.1056/NEJMoa1604344


Question clinique
Chez les patients BPCO en état stable mais avec une hypoxémie modérée au repos ou à l’effort, l’administration à long terme d’oxygène allonge-t-elle la survie ou le temps de la première hospitalisation quelles qu’en soient les causes ?


Conclusion
Les résultats de cette RCT montrent que l’oxygénothérapie à long terme ne doit pas être prescrite systématiquement chez les patients BPCO en état stable présentant une hypoxémie modérée au repos ou la nuit et durant l’exercice si la désaturation n’était présente qu’à l’effort. Elle n’allonge ni la survie ni le moment de la première hospitalisation quelles qu’en soient les causes.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Les indications actuelles de l’oxygénothérapie sont bien définies et homogènes au niveau de différents guides de pratique clinique. Pour la Belgique, les pathologies reconnues pour la prescription d’oxygène au long cours sont reprises sur le site de l’INAMI. En bref, la prescription de l’oxygénothérapie au long cours est remboursée chez des patients ayant une BPCO, en cas d’hypoxémie sévère permanente (PaO2 < 55 mmHg) et les patients avec une PaO2 comprise entre 55 et 60 mmHg ou les patients qui présentent une saturation en oxygène < 90% pendant au moins 1/3 d’un enregistrement nocturne de ≥ 8 heures. Ces deux conditions doivent cependant être accompagnées de signes de cœur pulmonaire chronique et/ou un hématocrite > 55%. Les résultats de l’étude analysée ici montrent que l’oxygénothérapie à long terme ne doit pas, dans l’état actuel de nos connaissances, être prescrite chez les patients BPCO stable avec une hypoxémie modérée présente au repos ou durant l’exercice. Elle n’allonge pas la survie ni le temps de la première hospitalisation quelles qu’en soient les causes ni aucun des autres critères évalués.


Contexte 

La réduction de la mortalité induite par l’oxygénothérapie continue (> 15 heures/jour) chez les patients BPCO souffrant d’hypoxémie sévère est à la fois statistiquement significative et pertinente du point de vue clinique (1,2). Par contre, l’efficacité d’une telle approche thérapeutique chez les BPCO stables souffrant d’une hypoxémie modérée au repos ou à l’effort est inconnue. Un effet bénéfique sur la survie n’avait pas été montré dans 2 RCTs de petite taille réalisées dans les années 1990 incluant des patients BPCO avec une hypoxémie diurne modérée et recevant soit une oxygénothérapie uniquement nocturne (PaO2) 56-69 mmHg ; n = 76) (3) ou une oxygénation à long terme (PaO2 56- 65 mmHg ; n = 135) dont la durée moyenne était de 13,5 (± 4,4) heures (4).

Cependant, le critère primaire de jugement était l’effet sur la pression artérielle pulmonaire pour la première de ces études (3) et pour la seconde (4) où le critère primaire était le taux de survie, aucun calcul de puissance statistique n’avait été effectué afin de connaître le nombre de patients à inclure pour un niveau d’erreur de type II (erreur β) accepté. Une nouvelle étude ciblant les patients BPCO présentant une hypoxémie modérée, mieux menée du point de vue méthodologique et incluant d’autres critères de jugement, était la bienvenue.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • critères d’inclusion : patients ≥ 40 ans , fumeurs ou ex-fumeurs avec au moins 10 paquets-année ; MMRC ≥ 1 ; FEV1 / FVC < 0,70 ; BPCO stables présentant une hypoxémie modérée au repos (SpO2 (saturation artérielle pulsée en oxygène) 89 - 93%) ou une désaturation modérée à l’exercice durant un test de marche de 6 minutes (SpO2 ≥ 80% pendant plus de 5 minutes et < 90% pendant ≥ 10 secondes), sélectionnés à partir de 47 centres aux E-U. ; tous les patients retenus ont signé un contrat par lequel ils acceptaient de ne pas fumer pendant l’utilisation de l’oxygène
  • critères d’exclusion : exacerbation nécessitant l’usage d’un antibiotique, d’un corticostéroïde systémique ou d’oxygénothérapie dans les 30 jours avant la période de screening ; chirurgie thoracique dans les 6 mois précédant la randomisation pouvant induire une instabilité du status pulmonaire, une pathologie pulmonaire autre que la BPCO et pouvant affecter l’oxygénation ou la survie ; score à l’échelle d’Epworth > 15, désaturation sous 80% pendant ≥ 1 minute durant le test de marche de 6 minutes
  • caractéristiques des patients inclus : 738 patients, âge moyen de 68,8 ans (ET de 7,5 ans), ± 75% d’hommes, tous avaient une histoire tabagique ≥ 10 paquets-année, 25 à 30% étaient fumeurs actifs ; BMI moyen de 28-29 kg/m2, GOLD IV 17% dans le bras sans oxygène et 13% dans le bras oxygène, index de BODE moyen de 4 avec seulement 11% (pas d’oxygène) et 9% (sous oxygène) des patients présentant un score de 7-10
  • 18% présentaient une désaturation au repos, 43% uniquement durant le test de marche et 39% souffraient des deux types de désaturation.

 

Protocole d’étude

  • étude clinique randomisée, contrôlée, ouverte avec 2 bras (avec oxygénothérapie et sans oxygénothérapie), multicentrique (42 centres aux E-U. ont inclus les patients)
  • suite à un enrôlement trop faible, le protocole initial, a été modifié avec randomisation 1:1 entre un bras oxygénothérapie prescrite (n = 368) soit en continu si la saturation de repos était comprise entre 89 et 93%, soit uniquement la nuit et durant l’exercice si une désaturation n’apparaissait que durant l’exercice et un bras contrôle sans oxygénothérapie (n = 370)
  • les patients sous oxygène continu recevaient 2 litres/minute au repos avec individualisation du débit, afin de maintenir la SpO2 ≥ 90% pendant au moins 2 minutes, lors de la déambulation ; pour les autres patients, le débit durant la nuit était fixé à 2 litres/minute avec également individualisation durant la déambulation ; dans le groupe oxygénothérapie, 220 patients en recevaient en continu et 148 uniquement la nuit et durant l’exercice
  • le débit nécessaire était réévalué chaque année
  • les patients du groupe contrôle qui ont présenté une hypoxémie de repos sévère (SpO2 ≤ 88%) ou une désaturation sévère à l’exercice (SpO2 < 80% pendant ≥ 1minute) ont reçu une oxygénothérapie avec réévaluation à 30 jours
  • les patients ont été suivis de 1 à 6 ans ; médiane du suivi de 18,4 mois (visite médicale 1 fois/an, interviews téléphoniques 2/an, questionnaires envoyés à 4 et 16 mois) ; l’utilisation moyenne de l’oxygène a été de 15,1 (± 6,2) heures/jour dans le groupe oxygénation en continu et de 11,3 (± 5,0) heures/jour dans le groupe sommeil/exercice.

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires composites : temps écoulé jusqu’à la survenue du décès ou de la première hospitalisation quelle qu’en soit la cause ainsi que chaque composant de ce critère composite
  • autres critères de jugement : incidence d’exacerbation ; observance de l’oxygénothérapie ; développement de désaturations sévères au repos ou à l’exercice ; distance parcourue au test de marche de 6 minutes ; score au Quality of Well-Being Scale ; questionnaire respiratoire de Saint Georges ; SF-36 (Medical Outcomes Study Short-Form General Health Survey) ; HADS (Hospital anxiety and Depression Scale) ; index de Pittsburgh pour la qualité du sommeil (Pittsburgh Sleep Quality Index) ainsi que trois autres critères non rapportés dans les résultats
  • analyse en intention de traiter
  • analyse de survie de Kaplan-Meier et modèle de hasards proportionnels de Cox pour analyser le temps écoulé jusqu’à la survenue du décès ou de la première hospitalisation quelle qu’en soit la cause et test de logrank pour l’ajustement de ces données.

Résultats

  • critère de jugement primaire :
    • critère composite : pas de différence significative entre les groupes : HR de 0,94 (avec IC à 95% de 0,79 à 1,12 ; p = 0,52)
    • 2 composants du critère composite : pas de différence significative
      • décès : HR de 0,90 (avec IC à 95% de 0,64 à 1,25 et p = 0,53)
      • première hospitalisation : HR de 0,92 (avec IC à 95% de 0,77 à 1,10 et p = 0,37)
  • autres critères de jugement :
    • taux d’exacerbations : pas de différence statistiquement significative : RR de 1,08 (avec IC à 95% de 0,98 à 1,19)
    • taux d’hospitalisations reliés à la BPCO : RR de 0,99 (avec IC à 95% de 0,83 à 1,17)
  • pas de différence statistiquement significative pour les mesures de qualité de vie, de fonction pulmonaire et du test de marche de 6 minutes.

Conclusion des auteurs 

Les auteurs concluent que l’administration d’oxygène en continu à long terme chez les patients BPCO en état stable présentant une hypoxémie modérée au repos ou la nuit et durant l’exercice si la désaturation n’était présente qu’à l’effort, comparée à l’absence de prescription d’oxygène supplémentaire, n’améliore pas la survie ou le moment de la première hospitalisation, et n’apporte aucun bénéfice statistiquement significatif aux autres critères de jugement évalués.

 

Financement de l’étude

Financement par le « National Heart, Lung, and Blood Institute » et coopération avec les centres Medicare and Medicaid Services qui font partie du département de la santé aux Etats-Unis.

 

Conflits d’intérêts des auteurs

Plusieurs auteurs signalent des liens d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique en dehors du cadre de ce travail ; 1 auteur rapporte des rémunérations dans le cadre de cette étude d’Inogen, une firme qui commercialise des concentrateurs d’oxygène ; les 10 autres auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Le protocole de cette RCT (LOTT : Long-Term OxygenTreatment Trial) a dû être amendé après 7 mois suite à un recrutement insuffisant. Il y a eu une modification du critère de jugement primaire et un nouveau calcul de puissance statistique. Dans la première version du protocole, le critère de jugement primaire testait l’hypothèse alternative de l’amélioration de la survie sous oxygène continu versus non prescription d’oxygène. Cela a été remplacé par un critère composite testant l’hypothèse alternative que chez les BPCO souffrant d’hypoxémie modérée au repos (SpO2 89 - 93%) ou ne souffrant de désaturation qu’à l’effort avec conservation d’une saturation normale au repos, l’administration d’oxygène va retarder le décès ou l’hospitalisation quelles qu’en soient les causes. En assumant une puissance de 90% pour détecter un hazard ratio (HR) de 0,6 pour le critère de jugement primaire composite, un taux d’erreur bilatéral de type I (α) de 5%, un taux de déplacement (crossover rate) de 11,7% du groupe contrôle vers le groupe sous oxygène et de 3,1% du groupe oxygène vers le groupe contrôle, la taille requise de l’échantillon a été calculée à 737 sujets. Les auteurs sont parvenus à inclure 738 patients.

Les auteurs ont eu recours à une analyse de survie de Kaplan-Meier pour calculer les temps écoulés dans chaque groupe jusqu’à la première survenue d’un des composants du critère primaire. Un test de logrank a été utilisé pour la comparaison des groupes. La consistance du HR du critère composite primaire au sein de sous-groupes pré-spécifiés a été testée par une série de modèles des risques proportionnels de Cox.

Interprétation des résultats

L’amendement du protocole et le type de patients BPCO inclus appellent à réflexion.

La difficulté de recruter suffisamment de patients dans cette RCT peut refléter deux faits : premièrement, certains patients recevaient déjà de l’oxygène ou étaient considérés trop symptomatiques selon leur médecin (peu de GOLD IV, index BODE moyen de 4) ; deuxièmement, la BPCO est diagnostiquée plus précocement qu’auparavant, les traitements des comorbidités notamment cardiovasculaires sont mieux pris en charge ce qui réduit la mortalité et a nécessité l’emploi d’un critère de jugement composite pour réduire l’erreur β.

Il n’y a pas de tentative dans cette étude de définir plus avant des seuils pour une éventuelle prescription d’oxygène dans un sous-groupe de BPCO modérément hypoxémique. En effet, il n’y a pas eu de mesure de la saturation nocturne, pas de polysomnographie (un score à l’échelle d’Epworth > 15 n’est pas sensible pour détecter un syndrome d’apnées du sommeil) (5). Pas de stratification selon des comorbidités significatives comme la coronaropathie. Pas de mesure de la performance ou de la modification de la symptomatologie induite par l’oxygène durant l’exercice. Pas de mesure de l’hématocrite, ni de la pression artérielle pulmonaire. Cette étude-ci n’est donc pas construite pour permettre d’identifier un sous-groupe qui pourrait éventuellement bénéficier d’une oxygénothérapie continue à long terme.

L’absence d’insu a pu jouer sur le rapport de certains critères de jugement mais pas sur le critère de mortalité qui est un critère fort.

Les auteurs signalent l’utilisation de matériels différents pour délivrer l’oxygène et donc éventuellement des débits variables générés parmi les patients recevant de l’oxygène.

 

Comparaison avec d’autres études

La base factuelle de la prescription d’une oxygénothérapie de longue durée chez les BPCO hypoxémiques sévères repose sur deux études pivots (1,2). Toutes les deux ont montré une amélioration de la survie sous oxygène prescrite en continu (> 15 h/j). Environ doublement du temps de survie à 2 ans pour l’étude NOTT (1) et à 5 ans pour l’étude du MRC (2). Les bénéfices de cette prescription chez les BPCO ayant une hypoxémie de repos légère à modérée ne sont pas démontrés. Dans l’étude analysée ici, l’observation d’une mortalité plus faible qu’attendue a nécessité un amendement du protocole pour inclure aussi des patients avec une désaturation à l’effort et développer un critère de jugement primaire composite. Aucun résultat portant sur les critères de jugement ne s’est révélé statistiquement significatif, avec aucun bénéfice retiré de l’oxygénothérapie pour ce type de patients BPCO. Comme déjà signalé, cette étude n’a cependant pas été conçue pour éventuellement individualiser un sous-groupe de patients qui pourraient en bénéficier.

Toutefois, la prudence reste de mise car le stress oxydatif produit par l’hyperoxie en cas de prescription non indiquée pourrait contribuer à la progression de la BPCO (6). De futures études devront donc tenir compte de tous ces résultats afin d’explorer de nouvelles pistes de prise en charge thérapeutique.

 

Conclusion de Minerva

Les résultats de cette RCT montrent que l’oxygénothérapie à long terme ne doit pas être prescrite systématiquement chez les patients BPCO en état stable présentant une hypoxémie modérée au repos ou la nuit et durant l’exercice si la désaturation n’était présente qu’à l’effort. Elle n’allonge ni la survie ni le moment de la première hospitalisation quelles qu’en soient les causes.

 

Pour la pratique

Les indications actuelles de l’oxygénothérapie sont bien définies et homogènes au niveau de différents guides de pratique clinique (7,8). Pour la Belgique, les pathologies reconnues pour la prescription d’oxygène au long cours sont reprises sur le site de l’INAMI (9).

En bref, la prescription de l’oxygénothérapie au long cours est remboursée chez des patients ayant une BPCO, en cas d’hypoxémie sévère permanente (PaO2 < 55 mmHg) et les patients avec une PaO2 comprise entre 55 et 60 mmHg ou les patients qui présentent une saturation en oxygène < 90% pendant au moins 1/3 d’un enregistrement nocturne de ≥ 8 heures. Ces deux conditions doivent cependant être accompagnées de signes de cœur pulmonaire chronique et/ou un hématocrite > 55%.

Les résultats de l’étude analysée ici montrent que l’oxygénothérapie à long terme ne doit pas, dans l’état actuel de nos connaissances, être prescrite chez les patients BPCO stable avec une hypoxémie modérée présente au repos ou durant l’exercice. Elle n’allonge pas la survie ni le temps de la première hospitalisation quelles qu’en soient les causes ni aucun des autres critères évalués.

 

 

 

Références 

  1. Nocturnal Oxygen Therapy Trial Group. Continuous or nocturnal oxygen therapy in hypoxemic chronic obstructive lung disease: a clinical trial. Ann Intern Med 1980;93:391-8. DOI: 10.7326/0003-4819-93-3-391
  2. Long term domiciliary oxygen therapy in chronic hypoxic cor pulmonale complicating chronic bronchitis and emphysema: report of the Medical Research Council Working Party. Lancet 1981;1:681-6. DOI: 10.1016/S0140-6736(81)91970-X
  3. Chaouat A, Weitzenblum E, Kessler R, et al. A randomized trial of nocturnal oxygen therapy in chronic obstructive pulmonary disease patients. Eur Respir J 1999;14:1002-8.
  4. Górecka D, Gorzelak K, Sliwiński P, et al. Effect of long-term oxygen therapy on survival in patients with chronic obstructive pulmonary disease with moderate hypoxaemia. Thorax 1997;52:674-9. DOI: 10.1136/thx.52.8.674
  5. Johns MW. A new method for measuring day time sleepiness : the Epworth sleepiness scale. Sleep 1991;14:540-5
  6. MacNee W. Oxidative stress and lung inflammation in airways disease. Eur J Pharmacol 2001;429:195-207. DOI: 10.1016/S0014-2999(01)01320-6
  7. British Thoracic Society guidelines for home oxygen use in adults. Thorax 2015;70;suppl 1. DOI: 10.1136/thoraxjnl-2015-206865
  8. From the Global Strategy for the Diagnosis, Management and Prevention of COPD. Global Initiative for Chronic Obstructive Lung Disease (GOLD) 2017. Available from: http://goldcopd.org/ (site web consulté le 18/08/2017).
  9. INAMI. Oxygénothérapie de longue durée à domicile : intervention dans le coût du traitement. Dernière mise à jour 16 février 2017 (site web consulté le 18/08/2017).

 

 

 




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