Revue d'Evidence-Based Medicine



La pratique factuelle (Evidence Based Practice) ne se limite pas aux preuves et aux guides de pratique clinique. Elle associe aussi connaissances, communication et sagesse



Minerva 2017 Volume 16 Numéro 8 Page 187 - 188

Professions de santé


Minerva essaye, au travers de ses analyses, de formuler des questions, des réflexions et des solutions concernant l’application de la médecine factuelle (Evidence Based Medicine, EBM) dans la pratique. Comment les preuves scientifiques, issues d’une recherche scientifique concluante, sont-elles mises en œuvre dans la pratique quotidienne pour que soit obtenu un effet sur la qualité des soins prodigués au patient et que cet effet devienne visible en termes de résultats cliniques mesurables ?

Dès 2010, Pierre Chevalier a cherché une réponse à cette question. Il est arrivé à la conclusion que les guides de pratique clinique (GPC) ont un effet sur le processus de soins, mais que l’effet sur les résultats cliniques n’est pas aussi bien démontré (1). Pour les pathologies clairement décrites, la recherche pouvait montrer que la conformité des pratiques aux GPC avait bien un effet sur les résultats cliniques (2,3). Ce processus d’acceptation, de validation et enfin de mise en œuvre des GPC a vu se développer un nouveau domaine de recherche appelé « science de l’implémentation » (implementation science). Une récente publication américaine a rassemblé les connaissances concernant les stratégies qui soutiendraient l’« adoption » et la mise en œuvre des recommandations des GPC (4). L’audit, le feed-back et les informations indépendantes apportées dans la pratique (visites pédagogiques de proximité (educational outreach visits)) ont eu un effet positif, tant sur le processus de soins que sur les résultats cliniques. Les incitants accordés aux prestataires (récompenses aux prestataires de soins appliquant les recommandations du GPC) et les rappels (format papier, format électronique, aide à la décision clinique) ont donné des résultats contradictoires, mais le plus souvent moins favorables. Mais nous devons à nouveau constater qu’il existe peu de preuves quant à l’efficacité de la mise en œuvre des GPC sur les résultats cliniques, sur la rentabilité et sur les problèmes contextuels, moins clairement définis. Les résistances et les facteurs, favorisant l’application des recommandations, correspondaient aux observations d’un article (5) qui avait été commenté dans Minerva (6). Ce dernier dressait un tableau très précis de la problématique. Il montrait également que l’effet, du développement et de la mise à disposition de GPC, n’est pas évident sur les résultats cliniques ou sur le coût des soins de santé.

L’implémentation des recommandations n’est pas le seul problème. Il ressort d’une étude, portant sur la qualité des GPC devant soutenir les soins en première ligne, que seulement 18% des recommandations reposent sur des preuves de bonne qualité axées sur les patients (force de recommandation A sur l’échelle SORT (Strenght of RecommendationTaxonomy) de la qualité de la preuve scientifique). 50% des recommandations reposent uniquement sur des avis d’experts, sur les soins habituels ou sur des critères intermédiaires (7). Mais il ne suffit pas d’examiner comment les recommandations sont étayées, il faut aussi vérifier leur méthode d’élaboration et rechercher d’éventuels liens d’intérêts chez les auteurs (8). La validation des GPC par le CEBAM reste une étape importante dans ce but.

Malgré les difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre des preuves scientifiques dans la pratique quotidienne, le mouvement est irréversible. Les médecins en formation seront en permanence formés à aborder les données scientifiques qui étayent leur pratique clinique avec un œil critique et indépendant. A cet égard, il serait tentant de faire des concessions au regard des résistances existantes (9), mais ce serait une grave erreur parce que ce serait ignorer la responsabilité du médecin et contrecarrer sa liberté. En effet, si le médecin n’est plus à même d’évaluer les informations, il devient le jouet de ceux qui disposent des nouvelles connaissances. Il peut s’agir de l’industrie ou du gouvernement, qui peuvent influencer l’élaboration des GPC avec des motifs divers (7). Si les médecins n’ont pas la possibilité de rester critiques, de prendre leurs responsabilités vis-à-vis des patients et de justifier leurs décisions d’une manière transparente vis-à-vis du monde extérieur (groupe professionnel, INAMI,…), le risque est alors grand de voir la médecine appliquer des recettes de manière aveugle.

Les visiteurs médicaux indépendants - un projet que le gouvernement ne soutiendra malheureusement plus longtemps -, les GLEM et les rapports d’activité de l’INAMI envoyés individuellement aux médecins sont des instruments existants que nous devrions affiner et continuer à développer pour renforcer l’implémentation des preuves. Les rapports d’activité de l’INAMI ne sont sans doute pas assez précis, ils ne tiennent pas suffisamment compte des spécificités du patient (âge, sexe, comorbidité, classe économique) et sont trop espacés dans le temps pour avoir un véritable impact. Ces rapports font toujours référence aux médecins en tant qu'individus et ne fournissent pas d'informations sur « la pratique ». Cela n’encourage pas les groupes de praticiens ou de formation à effectuer des ajustements structurels, par exemple, pour aligner les demandes d’examens et le comportement de prescription sur les recommandations. Certes, les visiteurs médicaux indépendants apportent aux prestataires de soins des informations bien étayées, mais cela reste de l’information, et c’est probablement encore insuffisant pour que les comportements changent vraiment. La campagne annuelle sur les antibiotiques, qui s’adresse tant aux médecins qu’aux patients, est un bon exemple de stratégie de mise en œuvre qui vise tous les intervenants de manière adaptée. Malheureusement, la tendance à la diminution des prescriptions d’antibiotiques semble stagner même si les types d’antibiotiques prescrits sont néanmoins beaucoup plus conformes aux recommandations. Il est également important que les médecins continuent à être formés à une bonne communication avec le patient. S’abstenir d’une action, même si la position est parfaitement prouvée scientifiquement, demande toujours un gros effort, tant de la part du médecin que de la part du patient. Déconstruire un mythe demande du temps, de l’énergie, des capacités de communication et aussi de la sagesse, comme quand il faut expliquer pourquoi on préfère ne pas satisfaire la demande du patient qui souhaite la détermination de son taux de PSA, une prescription d’antibiotiques pour la toux ou encore un bilan sanguin annuel alors qu’il a trente ans et n’a pas de symptômes.

L’implémentation des recommandations des GPC est importante pour assurer une prise en charge de qualité. Les chances de réussite de l’implémentation dépendent de la manière dont les résistances chez les prestataires de soins seront abordées. La structure du système de soins aussi peut être un obstacle important à la mise en œuvre des recommandations des GPC, par exemple au niveau économique quand ne pas agir ou agir moins ne « rapporte rien ». Même si l’on réussissait à optimaliser le système de soins, les recommandations de GPC ne constitueraient jamais qu’un des éléments soutenant une prise en charge de qualité. Les décisions prises quotidiennement par les médecins et les autres intervenants s’appuient, pour bon nombre d’entre elles, sur des preuves scientifiques très minces. Par ailleurs, l’augmentation de la comorbidité dans une société vieillissante requiert du médecin qu’il pèse les priorités en concertation avec le patient (10).

Connaissances, réflexion critique, compétences en communication et sagesse font partie de l’attitude du médecin qui adopte les recommandations des GPC avec une grande liberté et les met en œuvre dans sa pratique quotidienne. La responsabilité du politique est de promouvoir un contexte de soins permettant cette attitude, pour tous les prestataires impliqués, et aussi pour les patients.

 

 

Références 

  1. Chevalier P. Application des RBP : meilleurs résultats en termes de santé ? MinervaF 2010;9(4):41.
  2. Arnold FW, LaJoie AS, Brock GN, et al; Community-Acquired Pneumonia Organization (CAPO) Investigators. Improving outcomes in elderly patients with community-acquired pneumonia by adhering to national guidelines: Community-Acquired Pneumonia Organization International cohort study results. Arch Intern Med 2009;169:1515-24. DOI: 10.1001/archinternmed.2009.265
  3. McCabe C, Kirchner C, Zhang H, et al. Guideline-concordant therapy and reduced mortality and length of stay in adults with community-acquired pneumonia: playing by the rules. Arch Intern Med 2009;169:1525-31. DOI: 10.1001/archinternmed.2009.259
  4. Chan WV, Pearson TA, Bennett GC, et al; ACC/AHA Special Report: Clinical Practice Guideline Implementation Strategies: A Summary of Systematic Reviews by the NHLBI Implementation Science Work Group: a report of the American College of Cardiology/American Heart Association Task Force on Clinical Practice Guidelines. J Am Coll Cardiol 2017;69:1076-92. DOI: 10.1016/j.jacc.2016.11.004
  5. Ingemansson M, Bastholm-Rahmner P, Kiessling A. Practice guidelines in the context of primary care, learning and usability in the physicians’ decision-making process - a qualitative study. BMC Fam Pract 2014;15:141. DOI: 10.1186/1471-2296-15-141
  6. Anthierens S, Poelman T. Dans quelle mesure les guides de bonne pratique aident-ils le médecin généraliste dans sa pratique médicale ? MinervaF 2015;14(2):14-5.
  7. Ebell MH, Sokol R, Lee A, et al. How good is the evidence to support primary care practice? Evid Based Med 2017;22:88-92. DOI: 10.1136/ebmed-2017-110704
  8. Van de Klippe CJ, Knotnerus A. Wie betaalt, bepaalt? Huisarts en Wetenschap 2010;53:683-6.
  9. Kortekaas MF. Bartelink ME. Evidence based medicine, meer dan evidence alleen. Huisarts en wetenschap 2017;60:45.
  10. De Maeseneer J, Boeckxstaens P. Multimorbidité : d’une « prise en charge axée sur les problèmes » à une « prise en charge orientée vers des objectifs ». MinervaF 2013;12(4):40.

 

 


Auteurs

Lemiengre M.
Huisartsenpraktijk De Wijngaard Roeselare; Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
COI :

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