Revue d'Evidence-Based Medicine



Du lait hydrolysé pour nourrissons en prévention des allergies et des maladies auto-immunes ?



Minerva 2017 Volume 16 Numéro 8 Page 189 - 192

Professions de santé

Diététicien, Médecin généraliste, Sage-femme

Analyse de
Boyle RJ, Ierodiakonou D, Khan T, et al. Hydrolysed formula and risk of allergic or autoimmune disease: systematic review and meta-analysis. BMJ 2016;352:i974. DOI: 10.1136/bmj.i974


Question clinique
L’utilisation d’hydrolysats chez les nourrissons âgés de 0 à 12 mois prévient-elle l’apparition des affections allergiques et auto-immunes ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse conclut que l’utilisation d’une alimentation pour nourrissons à base de lait hydrolysé partiel ou poussé ne protège pas contre les maladies allergiques ou auto-immunes.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Les recommandations de l’Académie européenne d’allergie et d’immunologie clinique (EAACI) et celles de « Kind en Gezin » préconisent, chez les nourrissons présentant un risque accru d’atopie qui ne sont pas nourris au sein, d’utiliser des hydrolysats pour nourrissons en prévention de l’allergie au lait de vache. Étant donné le manque de preuves, le Centre Santé de la Jeunesse des Pays-Bas (Nederlands Centrum Jeugdgezondheid, NCJ) ne recommande pas l’utilisation prophylactique des hydrolysats pour la prévention de l’allergie au lait de vache. Les résultats de cette synthèse méthodique et méta-analyse montrent que l’utilisation de laits en poudre hydrolysés chez les nourrissons non allaités et présentant un risque accru d’atopie n’est pas utile dans la prévention primaire des maladies allergiques (dont l’allergie au lait de vache) et des maladies auto-immunes. L’étude ne mentionne rien sur la place des hydrolysats dans le traitement de l’allergie au lait de vache.



Contexte

L’hydrolyse dégrade les épitopes* à l’origine des réactions allergiques aux protéines du lait, ce qui pourrait en réduire le caractère allergénique. Dans un hydrolysat où le fractionnement des protéines est très poussé, les chaînes peptidiques restantes sont plus petites que dans un hydrolysat partiel, et le risque d’encore avoir des épitopes allergéniques intacts est moindre. Lorsque l’allaitement maternel n’est pas possible, les guides de pratique clinique préconisent d’utiliser du lait hydrolysé pour nourrissons pendant les 4 à 6 premiers mois de vie chez les patients à risque (antécédents familiaux d’atopie) en prévention primaire des affections allergiques de l’enfance (1,2).

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

Sources consultées

  • Medline, Cochrane Library, Embase, Web of Science, LILACS, jusqu’en avril 2015
  • recherche des études non terminées ou non publiées via http://apps.who.int/trialsearch
  • la liste de références des études sélectionnées
  • pas de restriction de langue de publication.

Études sélectionnées

  • études d’observation (N = 15 études), études d’intervention (N = 37 études dont 28 études randomisées contrôlées (RCT), 6 études quasi-randomisées contrôlées (quasi-RCT) et 3 études non randomisées)
  • comparaison de lait de vache partiellement hydrolysé (N = 23 études) et de lait de vache fortement hydrolysé (N = 18 études) avec du lait de vache non hydrolysé, du lait maternel ou un autre type de lait de vache hydrolysé ; éventuellement dans le cadre d’une intervention multimodale (N = 5 études)
  • exclusion des études avec lait de soja hydrolysé, lait de riz, lait de chèvre…

Population étudiée

  • plus de 19000 nourrissons en bonne santé âgés de 0 à 12 mois (30 des 37 études d’intervention avaient inclus des nourrissons dont au moins un parent au premier degré avait des antécédents familiaux d’atopie)
  • exclusion des études où la mère ou le nourrisson présentaient une pathologie préexistante (comme la prématurité ou un faible poids à la naissance).

 

Mesure des résultats

  • incidence des affections atopiques : asthme (sibilances ou récidive de sibilances), eczéma, rhinite et/ou conjonctivite allergique, allergie alimentaire, sensibilité allergique (IgE, test RAST, test cutané)
  • incidence des affections auto-immunes : diabète sucré de type 1, maladie cœliaque, maladie intestinale inflammatoire, maladie thyroïdienne auto-immune, arthrite rhumatoïde juvénile, vitiligo, psoriasis
  • préférence pour les données en intention de traiter
  • méta-analyse avec modèle d’effets aléatoires.

Résultats

  • lait de vache partiellement hydrolysé ou lait de vache fortement hydrolysé versus lait de vache non hydrolysé : aucune différence statistiquement significative constatée quant à l’incidence de l’eczéma, des récidives de sibilances, de rhinite allergique à l’âge de 0 à 4 ans (voir tableau), ni à l’âge de 5 à 14 ans (hormis moins d’eczéma avec le lait de vache à dominante de caséine à hydrolyse poussée (rapport de cotes (RC) 0,71 avec IC à 95% de 0,59 à 0,87))
  • lait de vache fortement hydrolysé versus lait de vache non hydrolysé : pas de différence statistiquement significative quant à l’incidence du diabète sucré de type 1 quel que soit l’âge (voir tableau)
  • aucune donnée concernant l’effet sur l’incidence des autres affections auto-immunes.

 

Tableau. Rapport de cotes (RC) ou risque relatif (RR), du lait de vache partiellement ou fortement hydrolysé versus lait de vache non hydrolysé, pour l’eczéma, les récidives de sibilances, la sensibilité allergique au lait de vache à l’âge de 0 à 4 ans et le diabète sucré de type 1 quel que soit l’âge.

Protocole de l’étude

Rapport de cotes (RC) ou risque relatif (RR) (intervalle de confiance à 95%)

GRADE qualité des preuves

Critère de jugement : eczéma (de 0 à 4 ans)

Hydrolysat partiel

N = 11 RCTs et 1 quasi-RCT

RC 0,84 (0,67 - 1,07)

moyenne

Hydrolysat poussé

N = 6 RCTs

dominant en caséine : RC 0,55 (0,28 - 1,09)

dominant en lactosérum : RC 1,12 (0,88 - 1,42)

très faible

Critère de jugement respiratoire : récidives de sibilances (de 0 à 4 ans)

Hydrolysat partiel

N = 5 RCTs

RC 0,82 (0,48 - 1,41)

moyenne

Hydrolysat poussé

N = 5 RCTs

dominant en caséine : RC 0,76 (0,53 - 1,09)

dominant en lactosérum : RC 1,15 (0,84 - 1,59)

très faible

Critère de jugement : sensibilité au lait de vache (quel que soit l’âge)

Hydrolysat partiel

N = 7 RCTs

RR 1,30 (0,65 - 2,60)

moyenne

Hydrolysat poussé

N = 3 RCTs

RR 0,77 (0,09 - 6,73)

très faible

Critère de jugement : diabète de type 1 (quel que soit l’âge)

Hydrolysat poussé

N = 5 RCTs

RR 1,12 (0,62 - 2,02)

élevée

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les résultats de cette étude ne viennent pas confirmer les guides de pratique clinique actuels qui recommandent l’utilisation du lait de vache hydrolysé en prévention des affections allergiques chez les nourrissons présentant un risque accru.

 

Financement de l’étude

L’Agence des normes alimentaires (Food Standards Agency) du Royaume-Uni et le National Institute for Health Research Biomedical Research Centre.

Conflits dintérêts des auteurs

L’auteur principal était le co-auteur de l’une des études randomisées contrôlées commanditées par l’industrie incluse dans la revue. Les auteurs ne mentionnent pas de conflits d’intérêts.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique a inclus des études randomisées contrôlées mais aussi des études quasi-randomisées et non randomisées contrôlées. Les études quasi-randomisées et non randomisées contrôlées peuvent être une importante source de biais. Dans les études quasi-randomisées, les investigateurs et les patients peuvent savoir à quel groupe ils participent, tandis que l’absence de randomisation peut conduire à un déséquilibre entre les groupes. Ainsi, une analyse de sous-groupes a montré que l’effet favorable d’un hydrolysat partiel sur l’incidence de l’eczéma était nettement plus important dans l’étude quasi -randomisée que dans les RCTs. Par ailleurs, l’outil de la Cochrane Collaboration « Risque de biais » a également permis de montrer un risque élevé de biais de sélection du fait d’une randomisation inadéquate dans les RCTs. Pour le critère de jugement eczéma et récidives de sibilances, les funnel plots permettent de suspecter un biais de publication.

Les études ont montré une hétérogénéité clinique importante. Pour certaines méta-analyses, l’hétérogénéité statistique aussi était importante. Les résultats de certaines méta-analyses sont exprimés en rapport de cotes car les données complètes d’une importante étude étaient exprimées ainsi.

 

Mise en perspective des résultats

Les résultats de cette synthèse méthodique montrent que l’utilisation d’un hydrolysat partiel ou poussé chez les nourrissons n’est pas associée à une réduction du risque de maladies allergiques ou auto-immunes. La plupart des études ont inclus des nourrissons qui n’avaient jamais été nourris au sein et qui avaient, pour la plupart, des antécédents familiaux d’atopie. Le résultat d’une plus ancienne synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration (3) basée sur une seule étude, qui avait montré une diminution de l’allergie au lait de vache avec l’hydrolysat, ne peut donc pas être confirmé. Une mise à jour de cette synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration (également avec un résultat favorable) a récemment été retirée. L’effet sur l’incidence de l’eczéma à l’âge de 5 à 14 ans peut être mis en doute en raison des faiblesses méthodologiques des études incluses et du risque de biais de sélection.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse conclut que l’utilisation d’une alimentation pour nourrissons à base de lait hydrolysé partiel ou poussé ne protège pas contre les maladies allergiques ou auto-immunes.

 

Pour la pratique

Les recommandations de l’Académie européenne d’allergie et d’immunologie clinique (EAACI) (1) et celles de « Kind en Gezin » (2) préconisent, chez les nourrissons présentant un risque accru d’atopie qui ne sont pas nourris au sein, d’utiliser des hydrolysats pour nourrissons en prévention de l’allergie au lait de vache. Étant donné le manque de preuves, le Centre Santé de la Jeunesse des Pays-Bas (Nederlands Centrum Jeugdgezondheid, NCJ) ne recommande pas l’utilisation prophylactique des hydrolysats pour la prévention de l’allergie au lait de vache (4). Les résultats de cette synthèse méthodique et méta-analyse montrent que l’utilisation de laits en poudre hydrolysés chez les nourrissons non allaités et présentant un risque accru d’atopie n’est pas utile dans la prévention primaire des maladies allergiques (dont l’allergie au lait de vache) et des maladies auto-immunes. L’étude ne mentionne rien sur la place des hydrolysats dans le traitement de l’allergie au lait de vache (1,2,4,5).

 

* L’épitope est une partie d’une macromolécule pouvant être reconnu par les anticorps, les lymphocytes B et les lymphocytes T.

 

 

Références  

  1. Muraro A, Halken S, Arshad SH, et al; EAACI Food Allergy and Anaphylaxis Guidelines Group. EAACI food allergy and anaphylaxis guidelines. Primary prevention of food allergy. Allergy 2014;69:590-601. DOI: 10.1111/all.12398
  2. Kind en Gezin. Voeding en beweging. Flesvoeding. URL: http://www.kindengezin.be/voeding-en-beweging/flesvoeding/ (site consulté le 18 septembre 2017).
  3. Osborn DA, Sinn J. Formulas containing hydrolysed protein for prevention of allergy and food intolerance in infants. Cochrane Database Syst Rev 2006, Issue 4. DOI: 10.1002/14651858.CD003664.pub2
  4. Richtlijn: Voedselovergevoeligheid. Nederlands Centrum Jeugdgezondheid. URL: https://www.ncj.nl/richtlijnen/alle-richtlijnen/richtlijn/?richtlijn=3&rlpag=492
  5. Allergie au lait de vache. Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour: 25/04/2014. Dernière revue: 25/04/2014.

 

 


Auteurs

Van Winckel M.
Kindergastroenterologie, UZ Gent; UGent
COI :

Poelman T.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent
COI :

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