Revue d'Evidence-Based Medicine



Comment prévenir et soulager les symptômes de burn out chez les médecins ?



Minerva 2017 Volume 16 Numéro 8 Page 193 - 196

Professions de santé

Dentiste, Ergothérapeute, Médecin généraliste, Psychologue

Analyse de
West CP, Dyrbye LN, Erwin PJ, Shanafelt TD. Interventions to prevent and reduce physician burnout: a systematic review and meta-analysis. Lancet 2016;388:2272-81.


Question clinique
Quelles sont les interventions qui sont efficaces pour prévenir et soulager les symptômes de burn out chez les médecins ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse, de méthodologie correcte, conclut que, tant les interventions orientées sur la personne que les interventions sur l’organisation réduisent à court terme les symptômes de burn out.


Que disent les guides de pratique clinique ?
La prévalence du burn out est élevée parmi les médecins. Il est donc crucial d’accorder une attention suffisante à ce problème. En tant que médecins, nous partageons à cet égard une responsabilité commune. En ce qui concerne les interventions individuelles, on peut recourir aux techniques de méditation, à la formation en gestion du stress, à la réduction du stress basée sur la pleine conscience (Mindfulness-Based Stress Reduction, MBSR), à la formation à la communication, aux ateliers en soins personnels, aux programmes d’exercices, aux groupes Balint et à l’enseignement en petits groupes. Sur le plan structurel, il s’agit surtout de réduire le temps du travail avec des équipes tournantes (certainement dans les unités de soins intensifs) ainsi que de réduire la fréquence des gardes et d’adapter les horaires de formation. Cette synthèse méthodique et méta-analyse confirme l’importance des interventions pour diminuer les symptômes de burn out. Toutefois, on ne sait pas encore clairement quelle intervention est la plus efficace chez quel type de médecins. La poursuite de la recherche est également nécessaire pour connaître la durée des interventions, l’effet d’une combinaison de plusieurs interventions et l’importance d’impliquer les médecins dans le développement et la mise en œuvre des interventions.



Contexte

Le burn out est une maladie liée au travail et se caractérise par un épuisement émotionnel, une dépersonnalisation et un sentiment de réduction de l’accomplissement personnel (1). Le nombre de médecins atteints de burn out est en croissance (2), avec un impact négatif sur les soins aux patients (3) et les soins personnels, la sécurité (4), le comportement professionnel (5), et la viabilité de l’ensemble du système des soins de santé (6). Ce constat justifie d’accorder une plus grande attention au bien-être des médecins, y compris par des interventions concrètes auprès des médecins atteints de burn out. La littérature scientifique actuelle ne permet pas de déterminer clairement quelles interventions sont les plus efficaces pour ce groupe.

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

 

Sources consultées

  • MEDLINE, Embase, PsycINFO, Scopus, Web of Science, ERIC (Education resources Information Center) jusqu’au 15 janvier 2016
  • les références des études sélectionnées
  • pas de restriction quant à la langue de publication

 

Études sélectionnées

  • critères d’inclusion : études comparatives d’observation et randomisées, ainsi que des études d’évaluation avant-après sans groupe contrôle, qui examinaient l’effet d’une intervention sur le burn out chez des médecins au moyen d’instruments de mesures validés
  • sélection finale de 52 études, à savoir 15 études randomisées contrôlées (RCTs) et 37 études de cohorte
  • 3 RCTs et 17 études de cohorte examinaient l’effet d’interventions structurelles sur le lieu de travail (notamment la réduction du temps de travail) ; 12 RCTs et 20 études de cohorte se focalisaient sur des interventions individuelles (notamment la gestion du stress et les soins personnels, la formation à la communication, la méditation en pleine conscience et les interventions de socialisation)

 

Population étudiée

  • 2914 médecins en formation et médecins praticiens
  • exclusion des études avec des étudiants en médecine et avec d’autres prestataires de soins.

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement : prévalence du burn out ; mesure du degré d’épuisement émotionnel et du degré de dépersonnalisation au moyen du test de Maslach (Maslach Burn-out Inventory, MBI)
  • effets indésirables
  • modèle d’effets aléatoires.

 

Résultats

  • la prévalence du burn out dans le groupe intervention, versus groupe contrôle, a diminué, passant de 54% à 44% (différence absolue de 10% avec IC à 95% de 5 à 14% ; p < 0,0001 ; I² = 15%) (N = 5 RCTs et 9 études de cohorte) ; les interventions sur l’organisation étaient plus efficaces que les interventions axées sur la personne (p = 0,03)
  • le score de l’épuisement émotionnel dans le groupe intervention, versus groupe contrôle, a diminué, passant de 23,82 points à 21,7 points (différence absolue de 2,65 points avec IC à 95% de 1,67 à 3,64 points ; p < 0,0001 ; I² = 82%) (N = 12 RCTs et 28 études de cohorte)
  • le score de dépersonnalisation dans le groupe intervention, versus groupe contrôle, a diminué, passant de 9,05 points à 8,41 points (différence absolue de 0,64 points avec IC à 95% de 0,15 à 1,14 points ; p = 0,01 ; I² = 58%) (N = 11 RCTs et 25 études de cohorte)
  • la prévalence de l’épuisement émotionnel sévère dans le groupe intervention, versus groupe contrôle, a diminué, passant de 38% à 24% (différence absolue de 14% avec IC à 95% de 11 à 18% ; p < 0,0001 ; I² = 0%) (N = 8 RCTs et 13 études de cohorte)
  • la prévalence de la dépersonnalisation sévère dans le groupe intervention, versus groupe contrôle, a diminué, passant de 38% à 34% (différence absolue de 4% avec IC à 95% de 0 à 8% ; p = 0,04 ; I² = 0%) (N = 6 RCTs et 10 études de cohorte) ; les interventions chez les médecins praticiens étaient plus efficaces que chez les médecins en formation (p = 0,006)
  • 5 études ont rapporté des effets négatifs, tels qu’une moindre satisfaction par rapport aux compétences et aux soins aux patients.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que, selon les données de la littérature scientifique, tant les interventions centrées sur la personne que les interventions structurelles ou sur l’organisation, entrainent une diminution cliniquement significative du burn out chez les médecins. Une recherche plus approfondie est nécessaire afin de déterminer quelle intervention est la plus efficace pour quel groupe spécifique de médecins, et afin de savoir comment combiner les interventions individuelles et les stratégies d’organisation pour obtenir une efficacité plus grande sur le bien-être des médecins.

 

Financement de l’étude

Via l’institut de recherche Arnold P Gold Foundation.

 

Conflits d’intérêts des auteurs

Le promoteur n’a joué aucun rôle dans la conception de l’étude ni dans la collecte, l’analyse et l’interprétation des données des études et la rédaction de l’article ; aucun conflit d’intérêts n’a été mentionné à propos des auteurs.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

L’élaboration de cette synthèse méthodique et méta-analyse a suivi les directives PRISMA. La sélection des études et l’extraction des données ont été réalisées par deux investigateurs indépendants. Une stratégie de recherche plus élargie a été décrite en annexe de l’article. Les investigateurs avaient des points de vue sensiblement similaires (kappa= 0,83) sur l’inclusion des études. Les données manquantes ont été réclamées aux auteurs des études originales. Des funnel plots ont été utilisés pour détecter un biais de publication. Deux investigateurs ont examiné la qualité méthodologique des études incluses au moyen de l’outil de la Cochrane Collaboration d’évaluation du risque dans les études randomisées (RCTs) et d’observation. Le processus de randomisation dans les études randomisées n’est pas mentionné de manière claire. Dans les études d’observation, la probabilité d’un biais est grande car il s’agit le plus souvent d’études d’évaluation avant-après, sans groupe contrôle. On a utilisé le modèle d’effets aléatoires pour sommer les résultats des différentes études en raison de la grande hétérogénéité clinique en ce qui concerne les interventions, les populations étudiées, les conceptions d’étude et les instruments de mesure. Des analyses de sous-groupes étaient prévues dans le protocole pour détecter l’origine de l’hétérogénéité statistique des résultats des études (comme la différence quant à l’effet entre les interventions individuelles et les interventions sur l’organisation).

 

Interprétation des résultats

La plupart des études de cette synthèse méthodique et méta-analyse montrent une diminution statistiquement significative de l’épuisement émotionnel et de la dépersonnalisation. Un nombre plus restreint d’études rapporte une diminution statistiquement significative de la prévalence du burn out ainsi que de l’épuisement émotionnel sévère et de la dépersonnalisation sévère. Les effets étaient cohérents entre les RCTs et les études d’observation, ce qui a permis de sommer les résultats. En outre, les résultats étaient similaires pour les interventions individuelles (comme la méditation en pleine conscience, la gestion du stress) et pour les interventions structurelles ou sur l’organisation (comme la diminution du temps de travail). L’effet des interventions structurelles est examiné principalement dans les études d’observation menée aux États-Unis et nécessite une recherche plus approfondie. Actuellement, la littérature scientifique disponible ne nous permet pas d’estimer l’effet de la combinaison de stratégies structurelles et de stratégies axées sur la personne. On ne sait pas non plus combien de temps ces interventions doivent se poursuivre pour que l’un des effets soit durable.

Il est difficile d’évaluer correctement la pertinence clinique des résultats actuels. Appliquée à la prévalence du burn out chez les médecins aux États-Unis (54,4%) (2), une diminution absolue de 10% de la prévalence du burn out correspondrait à une réduction du risque relatif de 18%. De la même manière, il y aurait une réduction du risque relatif de 14% dans l’épuisement émotionnel sévère et de 4% dans la dépersonnalisation sévère. Ces chiffres montrent que les diminutions dans les scores d’épuisement émotionnel et de dépersonnalisation sont généralement modestes (respectivement 2,65 et 0,64 points en moyenne). Elles pourraient quand même être importantes parce qu’une forte proportion de professionnels évoluent d’un épuisement émotionnel sévère à un épuisement émotionnel modéré et d’une dépersonnalisation sévère à une dépersonnalisation modérée.

 

Autres études

D’autres synthèses méthodiques sur ce thème ont encore été menées entre 2011 et 2016. Elles ont trouvé des faits probants relativement limités selon lesquels la diminution des heures de garde chez les médecins (en formation) a un effet positif sur les symptômes liés au travail (7-9). Une récente synthèse méthodique de JAMA (10) est surtout en faveur des interventions sur l’organisation, mais indique aussi que les interventions nécessaires seront différentes en fonction des différents groupes de médecins. Les médecins qui travaillent dans divers milieux et qui se trouvent dans différentes phases de leur carrière sont en effet confrontés à des problèmes différents, et ont d’autres besoins et d’autres souhaits. Cela corrobore les résultats de deux études récentes qui portaient sur l’enthousiasme chez les médecins généralistes en Flandre : les médecins plus âgés se sentent plus enthousiasmés par leur travail et présentent donc moins de risques de burn out que leurs confrères plus jeunes (11,12). Il serait donc souhaitable de focaliser la recherche future sur les médecins moins expérimentés et les médecins confrontés à des besoins de soins plus complexes.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse, de méthodologie correcte, conclut que, tant les interventions orientées sur la personne que les interventions sur l’organisation réduisent à court terme les symptômes de burn out.

 

Pour la pratique

La prévalence du burn out est élevée parmi les médecins (2). Il est donc crucial d’accorder une attention suffisante à ce problème. En tant que médecins, nous partageons à cet égard une responsabilité commune (13). En ce qui concerne les interventions individuelles, on peut recourir aux techniques de méditation, à la formation en gestion du stress, à la réduction du stress basée sur la pleine conscience (Mindfulness-Based Stress Reduction, MBSR), à la formation à la communication, aux ateliers en soins personnels, aux programmes d’exercices, aux groupes Balint et à l’enseignement en petits groupes. Sur le plan structurel, il s’agit surtout de réduire le temps du travail avec des équipes tournantes (certainement dans les unités de soins intensifs) ainsi que de réduire la fréquence des gardes et d’adapter les horaires de formation. Cette synthèse méthodique et méta-analyse confirme l’importance des interventions pour diminuer les symptômes de burn out. Toutefois, on ne sait pas encore clairement quelle intervention est la plus efficace chez quel type de médecins. La poursuite de la recherche est également nécessaire pour connaître la durée des interventions, l’effet d’une combinaison de plusieurs interventions et l’importance d’impliquer les médecins dans le développement et la mise en œuvre des interventions.

 

 

Références 

  1. Maslach C, Jackson SE, Leiter MP. Maslach burnout inventory manual.Third  Edition. Consulting Psychologists Press, 1996.
  2. Shanafelt TD, Hasan O, Dyrbye LN, et al. Changes in burnout and satisfaction with work-life balance in physicians and the general US working population between 2011 and 2014. Mayo Clin Proc 2015;90:1600-13. DOI: 10.1016/j.mayocp.2015.08.023. Erratum in: Mayo Clin Proc. 2016;91:276.
  3. Fahrenkopf AM, Sectish TC, Barger LK, et al. Rates of medication errors among depressed and burnt out residents: prospective cohort study. BMJ 2008:336:488-91. DOI: 10.1136/bmj.39469.763218.BE
  4. West CP, Tan AD, Shanafelt TD. Association of resident fatigue and distress with occupational blood and body fluid exposures and motor vehicle incidents. Mayo Clin Proc 2012:87:1138-44. DOI: 10.1016/j.mayocp.2012.07.021
  5. Dyrbye LN, Massie FS Jr, Eacker A, et al. Relationship between burnout and professional conduct and attitudes among US medical students. JAMA 2010:1173-80. DOI: 10.1001/jama.2010.1318
  6. Shanafelt TD, Mungo M, Schmitgen J, et al. Longitudinal study evaluating the association between physician burnout and changes in professional work effort. Mayo Clin Proc 2016:91:422-31. DOI: 10.1016/j.mayocp.2016.02.001
  7. Fletcher KE, Reed DA, Arora VM. Patient safety, resident education and resident well-being following implementation of the 2003 ACGME duty hour rules. J Gen Intern Med 2011;26:907-19. DOI: 10.1007/s11606-011-1657-1
  8. Jamal MH, Rousseau MC, et al. Effect of the ACGME duty hours restrictions on surgical residents and faculty: a systematic review.Acad Med 2011;86:34-42. DOI: 10.1097/ACM.0b013e3181ffb264
  9. Ruotsalainen JH, Verbeek JH, Mariné A, Serra C. Preventing occupational stress in healthcare workers. Cochrane Database Syst Rev 2015, Issue 4. DOI: 10.1002/14651858.CD002892.pub5
  10. Pulcrano M, Evans SR, Sosin M. Quality of life and burnout rates across surgical specialties: a systematic review. JAMA Surg 2016;151:970-8. DOI: 10.1001/jamasurg.2016.1647
  11. Lenaerts R, Goedhuys J. Bevlogenheid van huisartsen: een literatuuronderzoek.  Huisarts Nu 2017;46:104-9.
  12. Lenaerts R, Goedhuys J. Hoe bevlogen zijn Vlaamse huisartsen? Een veldonderzoek. Huisarts Nu 2017;46:110-5.
  13. Doctors4doctors. URL: http://doctors4doctors.be/

 

 


Auteurs

Michels N.
Vakgroep eerstelijns- en interdisciplinaire zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen; ICHO
COI :

Vervaeck N.
ICHO
COI :

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