Revue d'Evidence-Based Medicine



Schémas de soins standardisés dans la sécheresse cutanée chez les personnes âgées



Minerva 2017 Volume 16 Numéro 8 Page 200 - 203

Professions de santé

Infirmier, Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Hahnel E, Blume-Peytavi U, Trojahn C, et al. The effectiveness of standardized skin care regimens on skin dryness in nursing home residents: a randomized controlled parallel-group pragmatic trial. Int J Nurs Stud 2017;70:1-10. DOI: 10.1016/j.ijnurstu.2017.02.006


Question clinique
Quel est l’effet des schémas de soins standardisés, versus les soins cutanés habituels, dans le traitement de la sécheresse cutanée chez les résidents des maisons de repos et de soins ?


Conclusion
Cette étude menée en ouvert avec évaluation en aveugle des critères de jugement montre qu’un schéma de soins cutanés standardisé avec des préparations hydratantes pendant 8 semaines assure une peau moins sèche que les soins cutanés habituels chez les résidents des MRS. La pertinence clinique de cet effet n’est toutefois pas claire. Cette étude ne permet pas non plus de s’exprimer sur les avantages et les inconvénients des produits hydratants utilisés.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Il n’existe pas de guide de pratique clinique spécifique concernant le traitement de la sécheresse cutanée chez les personnes âgées. Diverses publications préconisent toutefois d’être vigilants sur la problématique des maladies cutanées chez les personnes âgées en institution ou à l’hôpital. D’après cette étude, il conviendrait d’évaluer la sécheresse cutanée chez les personnes âgées et, au besoin, d’hydrater suivant un schéma standardisé. Selon quel schéma et avec quels produits hydratants doit encore être clarifié. Si l’on applique une préparation pour la première fois, il est recommandé de commencer sur une petite surface cutanée afin de détecter rapidement une éventuelle allergie.



Contexte

Dans les maisons de repos et de soins (MRS), environ un résident sur deux souffre de sécheresse cutanée (1). La sécheresse cutanée entraîne du prurit et, suite au grattage fréquent, des lésions et des surinfections peuvent apparaître. Il est actuellement admis que des soins cutanés adéquats peuvent améliorer les caractéristiques structurelles et fonctionnelles de la peau vieillissante. Mais il n’existe encore que peu de preuves de l’effet des différents produits dermatologiques et des stratégies pour traiter la sécheresse cutanée chez les résidents des MRS (2).

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 133 patients (65,4% de femmes), de plus de 65 ans (âge moyen de 83,8 ans (ET 8,3 ans)), recrutés dans 10 MRS berlinoises volontaires, avec un score global de peau sèche (Overall Dry Skin) de 2 à 4 (moyenne de 2,1 (ET 0,8) au niveau de l’avant-bras droit) ; avec un risque modéré de développement d’ulcère ; avec une dépendance modérée pour la réalisation des activités quotidiennes (Activities of Daily Living, ADL) ; seulement 13% étaient fortement tributaires de soins
  • critères d’exclusion : phase terminale, maladies et traitements qui interféreraient avec la conception de l’étude (comme l’utilisation de corticostéroïdes ou d’antihistaminiques).

 

Protocole de l’étude

Étude randomisée, contrôlée, pragmatique, avec évaluation des critères de jugement effectuée en aveugle, et avec 3 groupes parallèles (1/1/1) 

  • groupe intervention I : soins cutanés quotidiens, appliqués 1x/j avec un gel douche (« body wash ») hydratant (à base de beurre de karité (graisses de Vitellaria paradoxa) et de glycérine) et 2x/j avec un lait corporel (« body lotion ») (émulsion eau dans huile hydrophile) sur les membres et le tronc, durant 2 mois 
  • groupe intervention II : soins cutanés quotidiens, appliqués 1x/j avec un gel douche (« body wash ») (à base de glycérine) et 2x/j avec une émulsion eau dans huile consistant en un émollient (entre autres de la paraffine liquide, de la diméticone et de l’huile de ricin) et 4% d’urée, durant 2 mois 
  • groupe témoin : poursuite des soins cutanés habituels avec les produits que les résidents ont eux-mêmes choisis.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement principal : variation de la sécheresse cutanée au niveau de la jambe droite, mesurée à l’aide du score global de peau sèche les jours 0, 28 et 56
  • critères de jugement secondaires : variation du score global de peau sèche au niveau de la jambe gauche, des avant-bras et du tronc ; variation de l’état d’hydratation de la couche cornée de l’épiderme (mesurée à l’aide du cornéomètre CM825), perte d’eau à travers l’épiderme, exprimée en g/m2/h (mesurée à l’aide du tewamètre TM300), pH (mesuré au niveau de la peau à l’aide du pH-mètre PH905), température (mesurée sur la peau à l’aide du thermomètre ST500) au niveau du bras droit et de la jambe droite ; fréquence des lavages et des hydratations durant l’étude
  • effets indésirables liés à l’utilisation des produits dermatologiques.

 

Résultats

  • patients sortis de l’étude : 16 résidents (12%)
  • après 56 jours, le score global de peau sèche au niveau de la jambe droite avait diminué, passant de 2,6 (ET 0,7) en moyenne à 1,7 (ET 1,8) dans le groupe intervention I, à 1,5 (ET 0,9) dans le groupe intervention II et à 1,9 (ET 1,1) dans le groupe témoin (p = 0,121 pour la différence entre les groupes intervention et le groupe témoin). Après correction pour tenir compte du score global de peau sèche, de l’âge, des MRS et des activités quotidiennes ADL (score), il y avait cependant, au cours de l’étude, une diminution statistiquement significative du score global de peau sèche dans les groupes intervention I et II versus groupe témoin (respectivement -0,64 avec p = 0,02 pour I et -0,70 avec p = 0,009 pour II)
  • diminution du score global de peau sèche plus importante dans les 2 groupes intervention que dans le groupe témoin, et ce de manière statistiquement significative, au niveau du tronc et des avant-bras. Pas de différence statistiquement significative quant à la variation de l’état d’hydratation et de la perte d’eau à travers l’épiderme
  • application plus fréquente de l’émulsion hydratante eau dans huile dans les groupes intervention que dans le groupe témoin (en moyenne 1,3 application/j vs 1 application/j ; p = 0,001)
  • 3 patients du groupe I et un patient du groupe II ont développé une irritation de la peau qui a finalement entraîné le retrait d’un patient dans chaque groupe.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs de cette étude pragmatique concluent qu’après 8 semaines, les schémas de soins cutanés structurés, sont efficaces pour diminuer la sécheresse cutanée chez les résidents des MRS.

 

Financement de l’étude

L’étude a été financée par Galderma Pharma SA (Suisse) et par le Clinical Research Center for Hair and Skin Science, Department of Dermatology and Allergy, Charité Universitätsmedizin Berlin. Galderma Pharma SA (Suisse) a fourni les produits de soins cutanés pour les groupes d’étude I et II. Galderma n’était pas impliqué dans la planification de l’étude, l’élaboration du protocole, la conduite de l’étude, l’analyse des résultats, la publication du rapport.

 

Conflits dintérêts des auteurs

Aucune mention.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Les auteurs décrivent leur étude comme étant pragmatique et exploratoire. La randomisation a été correctement effectuée avec une séquence générée par un ordinateur et avec préservation du secret d'attribution (concealment of allocation). La suite de l’étude ne s’est pas déroulée en aveugle étant donné que les patients du groupe témoin étaient autorisés à utiliser leurs propres produits (dont la composition n’est pas mentionnée) et qu’en outre, les produits dermatologiques des 2 groupes d’étude n’avaient pas le même parfum. Les investigateurs ont tout de même prévu que l’évaluation des résultats se déroule en aveugle. Etant donné que les résidents et les prestataires de soins savaient de quel groupe ils faisaient partie, un biais de performance et un biais de détection sont possibles, même si l’évaluation des critères de jugement a été réalisée en aveugle. Les investigateurs mentionnent même qu’au fur et à mesure de l’avancement de l’étude, les évaluateurs avaient tendance à attribuer de meilleurs scores. Cette amélioration observée dans tous les groupes pourrait aussi s’expliquer par l’effet Hawthorne. Il n’est pas exclu que le personnel soignant ait été sensibilisé à l’importance de l’hydratation car, dans chaque centre, il y avait des patients des groupes intervention et du groupe témoin. Une randomisation en grappes aurait peut-être été préférable. La proportion de patients, qui ont quitté l’étude prématurément et qui n’étaient donc pas présents dans l’analyse finale, est de 12% de la population totale. Ce chiffre important était le plus élevé dans le groupe témoin et était principalement dû aux hospitalisations et aux décès. Seulement un patient dans chaque groupe intervention a abandonné en raison d’un effet indésirable, comme l’irritation. C’est pour cette raison, qu’à la fin de l’étude, lors d’un nouveau calcul de la taille de l’échantillon, on a diminué la différence minimale à détecter sur l’échelle à 5 points, pour passer de -0,32 à -0,35. La pertinence clinique de ce seuil n’est toutefois pas étayée (3). L’utilisation d’une échelle à 5 points validée pour l’évaluation de la sécheresse cutanée est néanmoins un élément positif (4).

 

Interprétation des résultats

Les patients peuvent être considérés comme représentatifs de la population des MRS belges (besoin de soins, capacités fonctionnelles dans la vie de tous les jours…). Selon le score global initial de peau sèche, nous pouvons conclure qu’il s’agit bien de patients à risque de sécheresse cutanée. Toutefois, nous ne disposons pas d’informations complémentaires concernant la pathologie et la comorbidité. Il aurait été intéressant d’avoir ces informations pour savoir quel sous-groupe pourrait bien tirer profit d’une hydratation systématique. Pensons ici aux patients cancéreux ou aux patients dépendants pour se laver en raison d’une atteinte articulaire ou musculaire.

On peut remettre en cause la pertinence clinique du critère de jugement principal (sécheresse au niveau de la jambe droite) ainsi qu’un certain nombre de critères de jugement secondaires. Le score de peau sèche a beau être validé, la sécheresse cutanée est-elle en soi un critère de jugement solide ? Comme mentionné dans l’introduction, la sécheresse cutanée peut entraîner des complications qui nécessitent une utilisation complémentaire de médicaments et de produits de soins. Lechner et al. ont mené à ce sujet une étude d’observation portant sur le risque d’escarre de talon en cas de peau sèche au niveau des chevilles/talons (5). Il aurait donc été plus intéressant de choisir comme critère de jugement la « prévention des complications » plutôt que la « sécheresse cutanée ». Mais pour pouvoir étudier l’effet sur ce critère de jugement, il aurait fallu une étude d’une plus longue durée avec un plus grand nombre de patients. Et qu’en est-il du résultat des mesures du pH cutané ? Blaak et al. (6) ont examiné l’effet de différentes préparations tenant compte du pH (pH 4 et 6) cutané chez des patients de MRS (80-97 ans). Ils ont conclu qu’un pH plus acide (4) était plus favorable pour l’intégrité cutanée, en termes de sécheresse cutanée et de flore résidente. Les différences n’étaient toutefois pas statistiquement significatives.

Alors que la fréquence du lavage ne différait pas dans les 3 groupes (0,8x/j dans les bras intervention), celle de l’application de la préparation hydratante était différente (respectivement 1,3 x/j pour les groupes intervention et 1x/j pour le groupe témoin). Il paraît logique que l’application plus fréquente d’une préparation hydratante entraîne de meilleurs résultats, mais la question demeure : les préparations sont-elles efficaces, ou bien l’effet est-il simplement dû au nombre de fois qu’une préparation est appliquée sur la peau du patient, ou encore les deux ? On peut aussi se demander dans quelle mesure une étude ouverte de plus longue durée (6 mois à un an) avec un schéma de soins réaliste aurait apporté plus d’informations pour répondre à la question de l’étude.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude menée en ouvert avec évaluation en aveugle des critères de jugement montre qu’un schéma de soins cutanés standardisé avec des préparations hydratantes pendant 8 semaines assure une peau moins sèche que les soins cutanés habituels chez les résidents des MRS. La pertinence clinique de cet effet n’est toutefois pas claire. Cette étude ne permet pas non plus de s’exprimer sur les avantages et les inconvénients des produits hydratants utilisés.

 

Pour la pratique

Il n’existe pas de guide de pratique clinique spécifique concernant le traitement de la sécheresse cutanée chez les personnes âgées. Diverses publications préconisent toutefois d’être vigilants sur la problématique des maladies cutanées chez les personnes âgées en institution ou à l’hôpital. D’après cette étude, il conviendrait d’évaluer la sécheresse cutanée chez les personnes âgées et, au besoin, d’hydrater suivant un schéma standardisé. Selon quel schéma et avec quels produits hydratants doit encore être clarifié. Si l’on applique une préparation pour la première fois, il est recommandé de commencer sur une petite surface cutanée afin de détecter rapidement une éventuelle allergie.

 

 

Références 

  1. Lichterfeld A, Lahmann N, Blume-Peytavi U, Kottner J. Dry skin in nursing care receivers: a multi-centre cross-sectional prevalence study in hospitals and nursing homes. Int J Nurs Stud 2016;56:37-44. DOI: 10.1016/j.ijnurstu.2016.01.003
  2. Kottner J, Lichterfeld A, Blume-Peytavi. Maintaining skin integrity in the aged: a systematic review. Br J Dermatol 2013;169:528-42. DOI: 10.1111/bjd.12469
  3. Chevalier P. Taille de l’échantillon d’une étude. Calcul et informations mentionnées dans les publications. MinervaF 2010;9(4):52.
  4. Kang BC, Kim YE, Kim YJ, et al. Optimizing EEMCO guidance for the assessment of dry skin (xerosis) for pharmacies. Skin Res Technol 2014;20:87-91. DOI: 10.1111/srt.12089
  5. Lechner A, Lahmann N, Neumannd K, et al. Dry skin and pressure ulcer risk: a multi-center cross-sectional prevalence study in German hospitals and nursing homes. Int J Nurs Stud 2017;73:63-9. DOI: 10.1016/j.ijnurstu.2017.05.011
  6. Blaak J, Kaup O, Hoppe W, et al. A long-term study to evaluate acidic skin care treatment in nursing home residents: impact on epidermal barrier function and microflora in aged skin. Skin Pharmacol Physiol 2015;28:269-79. DOI: 10.1159/000437212

 

 


Auteurs

Laekeman G.
em. Klinische Farmacologie en Farmacotherapie, KU Leuven
COI :

Claus B.
Vakgroep Farmaceutische Analyse, Faculteit Farmaceutische Wetenschappen, UGent; Apotheek, UZ Gent
COI :

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