Revue d'Evidence-Based Medicine



Les tablettes et téléphones portables affectent-ils le sommeil des enfants et des jeunes ?



Minerva 2017 Volume 16 Numéro 9 Page 214 - 217

Professions de santé

Ergothérapeute, Médecin généraliste, Psychologue

Analyse de
Carter B, Rees P, Hale L, et al. Association between portable screen-based media device access or use and sleep outcomes: a systematic review and meta-analysis. JAMA Pediatr 2016;170:1202-8. DOI: 10.1001/jamapediatrics.2016.2341


Question clinique
Quelle est l’association entre l’usage des médias portables (tablette, téléphone portable) au moment du coucher et la quantité et la qualité du sommeil chez les enfants et les jeunes de 6 à 19 ans ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse, exhaustive mais basée sur des études hétérogènes et de faible qualité méthodologique, suggère une association entre troubles du sommeil chez l’enfant et la présence et/ou l’usage de médias interactifs portables dans son environnement nocturne.


Que disent les guides de pratique clinique ?
La Fédération Wallonie-Bruxelles et l’Académie des Sciences de France recommandent une utilisation éducative des médias interactifs portables et encadrée par les parents. Elles en déconseillent l’usage au coucher, afin d’apprendre à l’enfant à s’endormir seul. Cette synthèse méthodique conforte cette recommandation en montrant une association négative entre la présence de ces appareils dans l’environnement de l’enfant ou de l’utilisation de ceux-ci au coucher et la quantité et la qualité du sommeil, ainsi qu’avec une somnolence diurne excessive. Ces résultats devraient être confirmés par de nouvelles RCTs correctes d’un point de vue méthodologique. Des critères de jugement cliniques pertinents pour la santé des enfants et des jeunes doivent être exigés.



Contexte 

Une famille belge possède en moyenne 6 écrans (1). Selon 2 synthèses méthodiques de 2010 (2) et 2015 (3), les écrans des médias non portables (télévision, consoles, ordinateurs) ont montré une association entre leur usage et des troubles du sommeil chez les jeunes. Le manque de sommeil affecte la santé de l’enfant (sédentarité, obésité, retard de croissance, baisse de l’immunité, dépression, usage de drogue) (4). Les médias interactifs portables (smartphone, tablette) stimulent encore plus l’utilisateur en temps réel via internet et/ou les réseaux sociaux (3). La synthèse méthodique avec méta-analyse analysée ici vise à en déterminer et quantifier l’impact sur le sommeil des enfants et des jeunes.

 

Résumé 

 

Méthodologie 

Synthèse méthodique avec méta-analyse

 

Sources consultées

  • bases de données explorées : British Education Index, Cumulative Index to Nursing and Allied Health database, Cochrane Library, Educational Resources Information Center, International Biography of Social Sciences, Ovid MEDLINE (EMBASE, MEDLINE, and PsycINFO), PubMed, Science Direct, Scopus, and Web of Science
  • littérature grise recherchée via Open Grey ; les bibliographies des articles sont consultées et les auteurs contactés afin de trouver les références manquantes
  • pas de restriction de langue.

 

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : toutes les études expérimentales et observationnelles, publiées entre le 01/01/2011 et le 15/06/2015, concernant les jeunes en âge scolaire (6-19 ans) et évaluant le sommeil
  • critères d’exclusion : les études sur les enfants avec troubles mentaux ou de sommeil connus, études portant sur les médias non portables (télévision, ordinateur fixe ou ordinateur personnel), sur l’impact des ondes électromagnétiques des supports
  • sur 467 études trouvées, 20 études sont sélectionnées ; 3 sont exclues pour failles méthodologiques ; 2 études sont jugées de bonne qualité, 9 de qualité incertaine et 6 de faible qualité ; 11 sont incluses dans la méta-analyse.

 

Population étudiée

  • 125198 enfants âgés de 6 à 18 ans ont été inclus : âge moyen de 14,5 ans (ET 2,2 ans) 50,1% de garçons
  • répartis en un groupe d’enfants « exposés » (qui a dans son environnement nocturne un média portable > 3x/semaine soit avec, soit sans utilisation de celui-ci) et un groupe de « non exposés » (accès < 3x/semaine à un média portable au coucher).

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : prévalence de quantité de sommeil inadéquate (< 10 heures/jour pour les enfants et < 9 heures pour les adolescents) ; mauvaise qualité de sommeil (sommeil non réparateur, difficultés fréquentes de maintien ou d’initiation du sommeil) et somnolence diurne excessive (avec altération du fonctionnement diurne)
  • l’hétérogénéité est évaluée par le test I². Si elle dépasse 85%, une analyse de sous-groupe est effectuée pour tenter de mettre en évidence une association selon certaines covariables (âge, média utilisé, qualité méthodologique des études)
  • évaluation du niveau de preuve selon GRADE.

 

Résultats 

  • critère de jugement primaire : chez les enfants qui utilisent un média portable au coucher versus « non exposés », les résultats montrent :
    • une quantité de sommeil plus fréquemment altérée : N = 7 études ; 45,4% vs  31,5% ; OR de 2,17 avec IC à 95% de 1,42 à 3,32 ; p < 0,001 ; l’hétérogénéité élevée (I² = 90%) est due au recrutement des sujets d’une étude (enfant de 10 -11 ans) ; après son exclusion, l’OR est de 2,52 (avec IC à 95% de 1,79 à 3,55 ; p < 0,001 ; I² = 72%)
    • une qualité de sommeil moindre : N = 5 ; 52,1% vs 34,4%, OR de 1,46 avec IC à 95% de 1,14 à 1,88 ; p < 0,003 ; I² = 76%
    • une somnolence diurne plus présente : N = 2 ; 21,3% vs 6,7% ; OR de 2,72 avec IC à 95 % de 1,32 à 5,61 ; p = 0,007 ; I² = 50%
  • mêmes résultats observés chez les enfants qui ont un média portable dans leur environnement nocturne sans utilisation de celui-ci versus « non exposés » que ce soit pour :
    • la quantité de sommeil : N = 6 ; 41% vs 31,5 % ; OR de 1,79 avec IC à 95% de 1,39 à 2,31 ; p < 0,001 ; I² = 64% 
    • la qualité de sommeil : N = 4 ; 44% vs 32,4% ; OR de 1,53 avec IC à 95% de 1,11 à 2,10 ; p = 0,009 ; I² = 74%
    • la somnolence diurne : N = 3 ; 13,2% vs 4,9% ; OR de 2,27 avec IC à 95% de 1,55 à 3,35 ; p < 0,001 ; I² = 24%
  • en raison de l’importante hétérogénéité mise en évidence et de l’absence de randomisation, le niveau de preuve selon GRADE est faible.

 

Conclusion des auteurs 

Les auteurs rappellent que cette synthèse méthodique est la première sur ce sujet. Ils concluent que la présence, dans l’environnement nocturne, de médias portables ou leur usage au coucher sont significativement associés à des troubles du sommeil (quantité de sommeil insuffisante, qualité de sommeil moindre, somnolence diurne excessive). Des interventions multidisciplinaires impliquant parents, enseignants et professionnels de la santé pour réduire l’accès aux médias portables au coucher sont à mettre en place. De futures recherches sont nécessaires pour évaluer l’influence des différents appareils portables sur l’hygiène du sommeil, sa qualité, et sur d’autres critères de jugement cliniques reflétant la santé des enfants et des jeunes.  

 

Financement de l’étude 

Financement par l’Eunice Kennedy Shriver National Institute of Child Health and Human Development qui n’a joué aucun rôle dans les différents stades de l’étude.

 

Conflits d’intérêts des auteurs 

Un auteur a reçu une bourse de cet institut, sans autre conflit d’intérêts déclaré.

 

Discussion 

 

Considérations sur la méthodologie 

Le sujet de cette synthèse méthodique est utile au praticien de 1ère ligne. Les écrans font en effet partie du quotidien des enfants belges (1).

Le protocole est déterminé a priori et la recherche présentée selon la grille recommandations PRISMA sont parfois utilisées pour l'évaluation critique des synthèses méthodiques publiées, même si ces directives ne sont pas conçues pour être un instrument d'évaluation de la qualité d’une synthèse méthodique.">PRISMA. La stratégie en est exhaustive (grand nombre de bases de données, pas de restriction de langue, recherche de littérature grise). Aucun graphique en entonnoir ou test statistique ne quantifie le risque de biais de publication. Les termes MeSH utilisés dans MEDLINE sont décrits, contrairement aux mots clés utilisés pour les autres bases de données. Les études sont sélectionnées par 2 chercheurs indépendants l’un de l’autre et les désaccords tranchés par un 3ème.

Les critères d’inclusion et d’exclusion sont cohérents avec la problématique. L’exclusion des études est correctement justifiée. L’évaluation de la qualité des études repose sur leur classement en 3 catégories en fonction du risque de biais établi sur 13 domaines : bonne qualité (tous les domaines avec faible risque de biais), faible qualité (≥ 1 domaine avec haut risque de biais) et qualité incertaine (combinaison de risques bas et incertains). Seules 2 études sont de bonne qualité méthodologique, mais elles sont compensées par un coefficient de pondération. Les caractéristiques des 17 études incluses sont présentées dans une annexe. Seules 4 comprennent des enfants de < 10 ans. Notons que les enfants ayant  < 3 accès par semaine aux appareils portables sont classés avec les enfants n’ayant pas du tout accès à ceux-ci… Les critères de jugement primaires sont pertinents et les définitions de quantité de sommeil, somnolence diurne et qualité de sommeil sont basées sur des travaux validés antérieurement (4-6).

Des analyses sur données individuelles devaient être menées pour renforcer la cohérence des résultats si des données dichotomiques étaient présentes, mais seules 2 études ont permis une telle approche pour la quantité de sommeil, 4 pour la qualité du sommeil et 3 pour la somnolence diurne excessive. L’analyse de ces dernières aboutit aux mêmes conclusions que les données agrégées. Enfin, l’hétérogénéité qui est probablement à la fois clinique et statistique (7) s’explique par les limites méthodologiques parfois importantes des études originales : définitions, critères de jugement, variation des âges des groupes étudiés, évaluation subjective des parents et/ou des enfants sont différents selon les études.

Les résultats, sous forme de graphiques en ligne, sont clairs.

 

Interprétation des résultats 

La quantité de sommeil inadéquate est plus souvent observée chez les utilisateurs de médias portables au coucher. La qualité de sommeil est aussi altérée dans ce groupe selon l’OR poolé. Si on regarde cependant les 2 études de bonne qualité, on peut remarquer qu’une est non significative. Les conclusions sont par contre plus homogènes pour les enfants exposés aux appareils portables dans leur environnement nocturne sans utilisation du média. Les études dont l’hétérogénéité est importante (> 85%) sont analysées selon 3 sous-groupes prédéfinis : qualité des études (bonne versus mauvaise), âge des enfants (6 -11, 12 - 15, 16 - 18 ans) et type d’appareil (tablettes versus smartphones), mais les résultats ne montrent aucune association.

Le faible nombre de sujets < 10 ans rend l’interprétation des résultats plus difficile pour cette population. Ce biais est discuté par les auteurs. Mais il est peut-être aussi représentatif, et donc cohérent, avec ce qui se passe dans la réalité : moins d’enfants < 10 ans auraient ou ont accès à ces appareils au coucher.

Les caractéristiques des échantillons pour les différentes variables confondantes n’y sont pas précisées. Outre les écrans, l’Académie américaine de Pédiatrie a en effet identifié d’autres facteurs affectant le sommeil chez les adolescents (excitants pharmacologiques ou non, anxiété, rythmes scolaires, pathologies respiratoires telles que l’asthme et les apnées du sommeil, et cetera) (4). Aucune information relative à ces variables confondantes n’étant disponible, une relation de cause à effet pour les appareils portables au coucher ne peut être conclue sur base de cette étude.

Les résultats sont significatifs et cliniquement pertinents mais basés sur des articles originaux hétérogènes et de faible qualité. Ils doivent dès lors être considérés avec prudence. Leur fragilité est reconnue par les auteurs. Une étude contrôlée randomisée évaluant les effets des écrans interactifs portables sur le sommeil des enfants et des jeunes permettrait de répondre de manière plus fiable à cette question.

 

Conclusion de Minerva 

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse, exhaustive mais basée sur des études hétérogènes et de faible qualité méthodologique, suggère une association entre troubles du sommeil chez l’enfant et la présence et/ou l’usage de médias interactifs portables dans son environnement nocturne.

 

Pour la pratique 

La Fédération Wallonie-Bruxelles et l’Académie des Sciences de France recommandent une utilisation éducative des médias interactifs portables et encadrée par les parents. Elles en déconseillent l’usage au coucher, afin d’apprendre à l’enfant à s’endormir seul (8,9). Cette synthèse méthodique conforte cette recommandation en montrant une association négative entre la présence de ces appareils dans l’environnement de l’enfant ou de l’utilisation de ceux-ci au coucher et la quantité et la qualité du sommeil, ainsi qu’avec une somnolence diurne excessive. Ces résultats devraient être confirmés par de nouvelles RCTs correctes d’un point de vue méthodologique. Des critères de jugement cliniques pertinents pour la santé des enfants et des jeunes doivent être exigés.

 

 

Références  

  1. Groupe de Recherche en Médiation des Savoirs. Les enfants et les écrans. Usages des enfants de 0 à 6 ans, représentations et attitudes de leurs parents et des professionnels de la petite enfance. Rapport d’une recherche commanditée par l’ONE, initiée en collaboration avec le CSEM, 2015 (disponible sur http://www.one.be/fileadmin/user_upload/one_des/Recherches/RapportEnfantsEcransONE_web.pdf).
  2. Cain N, Gradisar M. Electronic media use and sleep in school-aged children and adolescents: a review. Sleep Med 2010;11:735-42. DOI: 10.1016/j.sleep.2010.02.006
  3. Hale L, Guan S. Screen time and sleep among school-aged children and adolescents : a systematic literature review. Sleep Med Rev 2015;21:50-8. DOI: 10.1016/j.smrv.2014.07.007
  4. Owens J; Adolescent Sleep Working Group; Committee on Adolescence. Insufficient sleep in adolescents and young adults: an update on causes and consequences. Pediatrics 2014;134:e921-32. DOI: 10.1542/peds.2014-1696
  5. Young TB. Epidemiology of daytime sleepiness: definitions, symptomatology, and prevalence. J Clin Psychiatry 2004;65(suppl 16):12-6.
  6. Arora T, Broglia E, Thomas GN, Taheri S. Associations between specific technologies and adolescent sleep quantity, sleep quality, and parasomnias. Sleep Med 2014;15:240-7. DOI: 10.1016/j.sleep.2013.08.799
  7. Chevalier P, Van Driel M, Vermeire E. Hétérogénéité dans les synthèses méthodiques et méta-analyses, MinervaF 2007;6(10);160.
  8. Maîtrisons les écrans : la campagne 3-6-9-12 donne des repères. Fédération Wallonie-Bruxelles, 2013 (disponible sur http://www.yapaka.be/ecrans).
  9. Bach JF, Houdé O, Léna P, Tisseron S. L’enfant et les écrans. Un avis de l’académie des sciences. Le Pommier, 2013, (disponible sur http://www.academie-sciences.fr/pdf/rapport/avis0113.pdf) .

 

 




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