Revue d'Evidence-Based Medicine



Risque de cancers mammaires et ovariens chez les femmes porteuses de mutations BRCA1 et BRCA2



Minerva 2018 Volume 17 Numéro 1 Page 8 - 11

Professions de santé

Médecin généraliste

Analyse de
Kuchenbaecker KB, Hopper JL, Barnes DR, et al. Risks of breast, ovarian, and contralateral breast cancer for BRCA1 and BRCA2 mutation carriers. JAMA 2017;317:2402-16. DOI: 10.1001/jama.2017.7112


Question clinique
Quel est selon l’âge, le risque de développer un premier cancer du sein, un cancer du sein controlatéral et un cancer de l’ovaire chez la femme porteuse d’une mutation BRCA1 ou BRCA2 et quels rôles jouent encore l’histoire familiale et la localisation de la mutation dans ce contexte ?


Conclusion
Les données de l’étude du BRCA1 and BRCA2 Cohort Consortium, dont la qualité méthodologique est relativement correcte, sont la meilleure source actuelle d’évaluation du risque de développer un cancer du sein et de l’ovaire chez la femme porteuse d’une mutation BRCA1 ou BRCA2 en tenant compte de l’histoire familiale et de la localisation du gène. Ce risque est élevé, voire très élevé (80% à 80 ans pour un premier cancer du sein) et relativement précoce. Elles sont très utiles, en 2018, pour informer correctement ces femmes.


Que disent les guides de pratique clinique ?
L’étude, en précisant de façon chiffrée le risque de cancer pour une femme porteuse d’une mutation BRCA1 ou BRCA2, est un complément utile et important aux guides de pratique clinique actuellement disponibles comme le GPC français de la Haute Autorité de la Santé, le britannique du National Collaborating Centre for Cancer dans le cadre de NICE ou le belge du Centre fédéral belge d’expertise en soins de santé (KCE).


Contexte 

Des mutations dans les gènes des protéines intervenant dans la réparation des cassures double-brin de l’ADN, BRCA1 ou BRCA2 (BRCA pour Breast Cancer), ont été rapportées comme prédisposant à un risque accru de cancer du sein et de l’ovaire. Cette observation repose essentiellement sur des études rétrospectives mais aussi sur quelques études de cohorte de petite taille ne permettant pas d’établir le risque de façon précise (1). Vu les conséquences de ces anomalies génétiques en termes de stratégie de prévention (dépistage, mastectomies et ovariectomies prophylactiques), il est impératif d’avoir des données précises obtenues prospectivement pour informer au mieux les femmes concernées. C’est dans cette optique qu’a été réalisée une grande étude prospective dont les résultats ont été publiés en 2017.

 

Résumé

Population étudiée

  • données provenant de cohortes de trois consortiums différents : l’International BRCA1/2 Carrier Cohort Study (IBCCS), le Breast Cancer Family Registry (BCFR) et le Kathleen Cuningham Foundation Consortium for Research Into Familial Breast Cancer (kConFab). Le premier consortium (7666 porteuses recrutées entre 1997 et 2011) regroupe 18 centres génétiques en Europe plus Québec ; le deuxième (1570 porteuses) concerne 6 sites étatsuniens, canadiens et australiens et le troisième (620 porteuses suivies depuis 1997) des institutions d’Australie et de Nouvelle-Zélande ; le suivi va jusque décembre 2013
  • critères d’inclusion pour le cancer du sein : femmes sans antécédent de cancer et n’ayant pas subi de mastectomie bilatérale prophylactique ; elles ont été suivies jusqu’à l’âge de 80 ans, la mort, une mastectomie bilatérale ou l’apparition d’un premier cancer (de tout type) 
  • critères d’inclusion pour le cancer ovarien : les critères étaient semblables sauf que la patiente ne devait pas avoir subi d’ovariectomie 
  • critère d’inclusion pour le cancer du sein controlatéral : premier cancer du sein avant la dernière date de suivi 
  • 9856 participantes ont été incluses dont 6036 porteuses de la mutation BRCA1 et 3820 de la mutation BRCA2 ; pour les trois types de complications néoplasiques (premier cancer du sein, cancer de l’ovaire, cancer du sein controlatéral), respectivement 3886, 5066 et 2213 femmes ont été suivies avec un âge médian respectif à l’enregistrement de 38 (IQR de 30 à 46), 38 (IQR de 31 à 47) et 47 (IQR de 40 à 55) ans.

 

Protocole de l’étude 

  • étude prospective regroupant trois cohortes différentes
  • les informations sur le suivi ont été recueillies par questionnaires ; l’intervalle moyen de suivi entre les questionnaires était variable selon les études (1,6 à 8,7 années)
  • suivi moyen de 5 ans.

 

Mesure des résultats

  • incidence annuelle, rapport standardisé d’incidence, risques cumulatifs du cancer du sein, de l’ovaire et du cancer du sein controlatéral
  • la survenue d’un cancer du sein ou de l’ovaire a été établie par questionnaire auprès des patientes
  • détermination de l’incidence annuelle par tranche d’âge de 10 ans
  • le risque cumulatif a été évalué par la méthode de Kaplan-Meier; les risques avec les mutations BCRA1 et BCRA2 ont été comparés par des analyses de régression de Cox.

 

Résultats

  • survenue de 426 premiers cancers du sein, 109 cancers de l’ovaire et 245 cancers du sein controlatéral
  • en termes d’incidence et de risque cumulatifs, les résultats peuvent se résumer dans le tableau suivant 

 

Gène

N femmes suivies

Décennie de début du 1er cancer ou intervalle depuis le 1er cancer du sein (ans)

Décennie de pic d’incidence (ans)

Pic d’incidence (par 1000 années-personnes)

(IC à 95%) calculé pour la décennie de pic d’incidence

Risque cumulé à 80 ans d’âge pour le 1er cancer ou à 20 ans du 1er cancer pour le cancer controlatéral du sein

(IC à 95%)

Premier cancer du sein

BCRA1

2276

21-30

41-50

28,3

(23,1-34,7)

72%

(65%-79%)

BCRA2

1610

21-30

51-60

30,6

(22,8-41,1)

69%

(61%-77%)

Cancer de l’ovaire

BCRA1

2905

31-40

61-70

29,4

(19,7-43,8)

44%

(36%-53%)

BCRA2

2161

31-40

61-70

10,3

(5,5-19,1)

17%

(11%-25%)

Cancer du sein controlatéral

BCRA1

1305

< 5 ans

< 5 ans

28,5

(22,1-36,7)

40%

(35%-45%).

BCRA2

908

< 5 ans

< 5 ans

18,4

(12,6-26,8)

26%

(20%-33%)

 

  • le risque pour le cancer de l’ovaire et pour le cancer du sein controlatéral apparaît significativement accru chez les femmes porteuses du gène BCRA1 ; à noter que la localisation de la mutation sur les gènes peut accroître le risque du cancer du sein : HR de 1,46 (avec IC à 95% de 1,11 à 1,93 ; p = 0,007)
  • l’histoire familiale peut constituer un risque de cancer du sein indépendant de la présence de l’anomalie génétique ; des cancers du sein aux premier et second degrés augmentent le risque de développer un cancer du sein tant en cas de mutation BRCA1 (risque cumulatif à l’âge de 70 ans de 73% (avec IC à 95% de 65% à 80%) versus 53% (avec IC à 95% de 39% à 69%) qu’en cas de mutation BRCA2 (65% (risque cumulatif à l’âge de 70 ans de 56% à 74%) versus 39% (25% à 56%)
  • une histoire familiale de cancer de l’ovaire ne majore pas le risque de cancer ovarien mais bien le risque de cancer du sein si l’histoire est au premier degré et si le sujet est porteur d’une mutation BRCA1.

 

Conclusion des auteurs 

Les auteurs concluent que le risque de cancer du sein chez les femmes porteuses de mutations BRCA1 et BRCA2 est connu de façon plus précise grâce à cette étude prospective, qui démontre également les rôles potentiels de l’histoire familiale et de la localisation du gène dans ce contexte.

 

Financement de l’étude

Cancer Research UK.

 

Conflits d’intérêts des auteurs

5 des 15 auteurs rapportent des liens avec l’industrie pharmaceutique et l’un des auteurs possède des brevets sur BRCA1 et BRCA2 ; les autres déclarent ne pas avoir des conflits d’intérêts.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

L’étude est basée sur l’agrégation de trois cohortes occidentales constituées de femmes porteuses de mutations sur les gènes BRCA1 et BRCA2 qui ont été prospectivement suivies pour déterminer les risques de cancer du sein et de l’ovaire. Dans la plus grande des études (IBCCS), les cas proviennent de centres d’analyses génétiques, et dans les 2 autres (BCFR et kConFab), de registres basés sur des familles à cancer en sélectionnant les sujets porteurs.

La force de l’étude est d’avoir suivi prospectivement pendant de nombreuses années les femmes porteuses de mutations avant l’apparition de cancer. Il faut cependant noter que ce suivi est essentiellement basé sur des questionnaires soumis à intervalles variables. De plus, dans certains centres où cela était possible, des registres de décès ou de cancer ont été consultés. Le contenu des questionnaires n’est pas rapporté et l’intervalle entre deux questionnaires peut être fort long. Comme les informations proviennent directement des patientes, il n’a pas été possible de récolter des données plus médicales comme le type histologique. Il n’y a pas eu non plus de suivi après le premier cancer, que celui-ci soit mammaire, ovarien ou autre. C’est une faiblesse de l’étude… mais ce n’était pas non plus le but de l’étude.

D’autres biais sont possibles. Tout d’abord, les séries ne sont pas basées sur une population générale mais sur des femmes sans cancer porteuses d’une mutation d’intérêt déterminée pour des raisons souvent non rapportées si ce n’est des histoires familiales. Il pourrait y avoir un biais de sélection. Le dénominateur réel n’est pas connu. Ensuite pour l’histoire familiale, le nombre de cas rapportés dépend évidemment du nombre de membres de la famille et des relations entre les membres de la famille. Faisons remarquer que le nombre de pertes de suivi n’est pas trop élevé : 7% (0% à 13%).

Il faut noter que les auteurs n’ont pas vu de différence de risque entre les différents registres sources des porteuses, ni les pays d’origine, ce qui peut s’apparenter à une analyse de sensibilité. Ces résultats ne concernent que les populations occidentales (Europe, Amérique du Nord, Australie et Nouvelle-Zélande). Enfin, rappelons que les cancers du sein chez l’homme non pas été pris en considération.

 

Mise en perspective des résultats

Le grand apport de l’étude du BRCA1 and BRCA2 Cohort Consortium est d’avoir évalué de façon prospective le risque de développer un cancer du sein ou de l’ovaire chez des femmes porteuses d’une mutation d’intérêt. Ce risque est élevé, voire très élevé (80% à 80 ans pour un premier cancer du sein) et relativement précoce. Ces résultats vont dans le même sens que ceux des études rétrospectives (2-5).

Ce risque élevé soulève la question du dépistage de ces cancers dans ce contexte particulier (6-9) et notamment du risque de cancers radio-induits et donc du recours à l’IRM (imagerie par résonance magnétique nucléaire). Il pose également la problématique de la chirurgie prophylactique (mastectomie et ovariectomie bilatérales).

Cette étude ne permet cependant pas de préciser le risque d’être porteuse d’une mutation BRCA1 et BRCA2 dans la population générale, souvent estimé à 0,2% de la population générale, 2% des femmes atteintes d’un cancer du sein, 10 à 15% des femmes souffrant d’un cancer de l’ovaire et 5% des cas de cancers mammaires familiaux (7). Elle ne permet pas non plus de connaître le suivi après détection du premier cancer, en termes de survie, de mesures prophylactiques appliquées, d’impact du traitement, d’apparition d’autres cancers. Notons que les cancers du sein associés à une mutation BRCA1 sont souvent dits triples négatifs, c.-à-d. sans expression de récepteurs à l’œstrogène, à la progestérone ou au facteur de croissance épidémique 2 (HER2) et sont donc de pronostic plus sombre (10).

 

Conclusion de Minerva

Les données de l’étude du BRCA1 and BRCA2 Cohort Consortium, dont la qualité méthodologique est relativement correcte, sont la meilleure source actuelle d’évaluation du risque de développer un cancer du sein et de l’ovaire chez la femme porteuse d’une mutation BRCA1 ou BRCA2 en tenant compte de l’histoire familiale et de la localisation du gène. Ce risque est élevé, voire très élevé (80% à 80 ans pour un premier cancer du sein) et relativement précoce. Elles sont très utiles, en 2018, pour informer correctement ces femmes.

 

Pour la pratique

L’étude, en précisant de façon chiffrée le risque de cancer pour une femme porteuse d’une mutation BRCA1 ou BRCA2, est un complément utile et important aux guides de pratique clinique actuellement disponibles comme le GPC français de la Haute Autorité de la Santé (), le britannique du National Collaborating Centre for Cancer dans le cadre de NICE (9) ou le belge du Centre fédéral belge d’expertise en soins de santé (KCE) (11).

 

 

Références 

  1. Senst N, Llacuachaqui M, Lubinski J, et al ; Hereditary Breast Cancer Study Group. Parental origin of mutation and the risk of breast cancer in a prospective study of women with a BRCA1 or BRCA2 mutation. Clin Genet 2013;84:43-6. DOI: 10.1111/cge.12037
  2. Antoniou A, Pharoah PD, Narod S, et al. Average risks of breast and ovarian cancer associated with BRCA1 or BRCA2 mutations detected in case series unselected for family history: a combined analysis of 22 studies. Am J Hum Genet 2003;72:1117-30. DOI: 10.1086/375033
  3. Antoniou AC, Cunningham AP, Peto J, et al. The BOADICEA model of genetic susceptibility to breast and ovarian cancers: updates and extensions. Br J Cancer 2008;98:1457-66. DOI: 10.1038/sj.bjc.6604305
  4. Chen S, Iversen ES, Friebel T, et al. Characterization of BRCA1 and BRCA2 mutations in a large United States sample. J Clin Oncol 2006;24:863-71. DOI: 10.1200/JCO.2005.03.6772
  5. Milne RL, Osorio A, Cajal TR, et al. The average cumulative risks of breast and ovarian cancer for carriers of mutations in BRCA1 and BRCA2 attending genetic counseling units in Spain. Clin Cancer Res 2008;14:2861-9. DOI: 10.1158/1078-0432.CCR-07-4436
  6. Prescrire Rédaction. Dépistage et risque familial élevé de cancer du sein. Encore plus d’incertitudes que dans la population générale. Rev Prescrire 2016;36:355-61.
  7. Prescrire Rédaction. Cancer du sein familial. Rechercher une mutation génétique chez certaines femmes, après réflexion. Rev Prescrire 2016;36:112-6.
  8. Dépistage du cancer du sein en France : identification des femmes à haut risque et modalités de dépistage. Synthèse. Recommandations de Santé publique. Haute Autorité de Santé, 2014. Available from: www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2014-05/depistage_du_cancer_du_sein_chez_les_femmes_a_haut_risque_synthese_vf.pdf
  9. National Institute for Health and Care Excellence. Familial breast cancer: classification and care of people at risk of familial breast cancer and management of breast cancer and related risks in people with a family history of breast cancer. Clinical guideline [CG164]. NICE, published date: 2013, last updated: 2017. Available from: www.nice.org.uk/guidance/cg164
  10. Foulkes WD, Smith IE, Reis-Filho JS. Triple-negative breast cancer. N Engl J Med 2010;363:1938-48. DOI: 10.1056/NEJMra1001389
  11. Wildiers H, Stordeur S., Vlayen J, et al. Cancer du sein chez la femme : diagnostic, prise en charge et suivi - Synthèse. Good Clinical Practice (GCP). Bruxelles : Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE). 2013. KCE Reports 143Bs – 3ième EDITION. D/2013/10.273/36. Available from: www.kce.fgov.be/sites/default/files/atoms/files/KCE_143Bs_Cancer_du_sein.pdf

 

 




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