Revue d'Evidence-Based Medicine



Intérêts clinique et anatomique d’injections intra-articulaires trimestrielles de triamcinolone dans la gonarthrose ?



Minerva 2018 Volume 17 Numéro 3 Page 41 - 44

Professions de santé

Kinésithérapeute, Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
McAlindon T, LaValley MP, Harvey WF, et al. Effect of intra-articular triamcinolone vs saline on knee cartilage volume and pain in patients with knee osteoarthritis: a randomized clinical trial. JAMA 2017;317:1967-75. DOI: 10.1001/jama.2017.5283


Question clinique
Les injections intra-articulaires de triamcinolone pratiquées chaque trimestre pendant deux ans ont-elles un effet positif sur la douleur et sur l’évolution anatomique du cartilage en cas d’arthrose du genou ?


Conclusion
Cette RCT, de méthodologie correcte, montre que dans l’arthrose du genou, versus injection de sérum physiologique, les injections intra-articulaires trimestrielles de triamcinolone pendant 2 ans n’apportent non seulement pas de soulagement significatif de la douleur mais génère une perte de l’épaisseur du cartilage articulaire.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Faut-il dès lors bannir les injections intra-articulaires de corticostéroïdes de l’arsenal thérapeutique du genou arthrosique ? Le GPC NICE ne recommande pas les injections intra-articulaires de corticostéroïdes. Certains GPC recommandent tant des traitements pharmacologiques (analgésiques, infiltrations intra-articulaires de corticostéroïdes) que des traitements non pharmacologiques. Il faut bien sûr éviter les injections itératives sur une longue période. Néanmoins, mais cela sort du cadre de cette analyse, ce traitement peut classiquement aider à passer au-delà d’une phase inflammatoire de la maladie et contribuer à assécher un épanchement gênant.



Contexte

L’arthrose du genou est un problème fréquent dans la population âgée de plus de 45 ans.

Dans la pathogénie de l’arthrose, outre les facteurs mécaniques, il y a un élément inflammatoire qui se manifeste par une synovite et des épanchements articulaires.

Le concept qui justifie le traitement par injections intra-articulaires de dérivés corticostéroïdiens est lié à l’effet anti-inflammatoire des corticostéroïdes qui agit donc sur la composante inflammatoire de l’affection et pourrait de la sorte avoir un effet non seulement symptomatique mais également un effet protecteur du cartilage (1). Cette hypothèse est affaiblie par l’effet « anti-anabolique » des corticostéroïdes locaux sur le cartilage sain (2).  

L’objet de cette étude est de tester à la fois l’effet des injections sur la douleur et sur l’évolution du cartilage articulaire.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • critères d’inclusion : adultes de plus de 45 ans consultant pour gonarthrose et répondant aux critères de diagnostic de l’American College of Rheumatology ; ils devaient avoir atteint les stades radiologiques 2 ou 3 de Kellgren et Lawrence (3) et une douleur de genou ≥ 2 mais ≤ 8 évaluée par une sous-échelle du questionnaire WOMAC (gradé de 0 à 12) (4) ; ou patients présentant un épanchement ou une synovite démontrée à l’échographie et qui acceptaient d’arrêter les analgésiques pendant les 48 heures précédant chaque évaluation ; patients recrutés dans des cliniques et par publicités locales
  • critères d’exclusion : patients présentant d’autres pathologies inflammatoires, des antécédents d’arthrite septique, de nécrose aseptique osseuse ou traités par corticostéroïdes per os, ou ayant reçu de la doxycycline, de l’indométacine, de la glucosamine, de la chondroïtine, ou ayant bénéficié d’injections intra-articulaires d’acide hyaluronique ou de corticostéroïdes dans le 3 mois avant le début de l’étude, des patients atteints de diabète mal équilibré, d’HIV, d’hypertension artérielle ainsi que ceux qui étaient porteurs d’une contrindication à l’IRM
  • sur les 445 initialement sélectionnés, inclusion de 140 adultes, âge moyen de 58 ans (ET 8), 54% de femmes.

Protocole d’étude

  • étude clinique randomisée avec stratification selon l’imagerie, en double aveugle en 2 groupes
  • groupe traitement, 70 patients : injection intra-articulaire de 40 mg de triamcinolone au rythme d’une tous les 3 mois pendant 2 ans
  • groupe contrôle, 70 patients : injections d’1 ml de sérum physiologique tous les 3 mois pendant 2 ans
  • évaluation faite sur base d’un questionnaire clinique tous les 3 mois avec le questionnaire WOMAC qui comporte une évaluation de la marche ainsi qu’un examen clinique du genou et d’une IRM (des cartilages du genou) tous les 12 mois
  • les injections intra-articulaires trimestrielles ont été vérifiées par échographie et étaient précédées d’une aspiration de ≤ 10ml de liquide synovial
  • suivi sur 2 ans.

Mesure des résultats

  • co-critères de jugement primaires : modification du volume de cartilage et douleur et fonction du genou 
  • critères de jugement secondaires : tous les autres critères, considérés comme exploratoires, effets indésirables, hypertension artérielle
  • analyse en intention de traiter.

Résultats

  • 11 sorties d’étude dans le groupe traité et 10 dans le groupe contrôle
  • l’évaluation finale a été faite sur 59 patients traités versus 60 patients placebo
  • critères de jugement primaires :
    • pas de différence statistiquement significative entre les deux groupes en ce qui concerne l’effet sur la douleur et la fonction du genou : différence moyenne entre les 2 groupes = -0,64 (avec IC à 95% de -1,6 à 0,29 ; p = 0,17)
    • évolution de l’épaisseur du cartilage articulaire : diminution d’épaisseur dans le groupe traité à la triamcinolone vs placebo : - 0,21 vs - 0,10 mm ; différence de - 0,11 mm (avec IC à 95% de -0,20 à -0,03 mm ; p = 0,01) ; cette différence est faible mais significative
  • critères de jugement secondaires : il n’y a pas de différence entre les deux groupes en ce qui concerne la progression des zones dénudées de leur cartilage, l’aspect de la moelle osseuse, des trabécules ou l’importance de l’épanchement ; une fibrillation de la couche superficielle du cartilage articulaire a été retrouvée de façon plus fréquente dans le groupe placebo
  • pas de différence statistiquement significative mais effets indésirables mineurs (légère cellulite, sensibilité de la zone injectée) globalement plus fréquents dans le groupe placebo (63 versus 52) avec néanmoins une très faible proportion des plaintes directement liées au traitement (3 dans le groupe témoin et 5 dans le groupe traité)
  • pas de différence d’incidence de nouvelle ou d’aggravation d’hypertension artérielle entre les 2 groupes.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que parmi les patients traités pour arthrose du genou par des injections intra-articulaires trimestrielles de triamcinolone pendant 2 ans versus des patients traités par des injections de sérum physiologique au même rythme, il y a une plus grande perte d’épaisseur du cartilage articulaire sans effet significatif sur la douleur chez les patients injectés avec de la triamcinolone. Ces résultats n’apportent pas de justification à l’utilisation d’injections intra-articulaires de triamcinolone pour la gonarthrose symptomatique.

Financement de l’étude

National institute for Arthritis and Musculoskeletal Disorders and Skin Diseases; National Center for Advancing Translational Sciences, National Institutes of Health.

Conflits d’intérêts des auteurs

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts. Les conclusions n’engagent pas le National Institutes of Health (NIH)

 

Discussion

 

Remarques préliminaires

En pratique clinique, il n’est pas d’usage de traiter la gonarthrose par des injections intra-articulaires trimestrielles de triamcinolone. Ce traitement est réservé aux phases inflammatoires de l’affection en particulier pour traiter une hydarthrose gênante et douloureuse, évènement ponctuel dans l’évolution de l’affection. Dans notre pays, les produits utilisés sont l’acétate de methylprednisolone (Depo-Médrol®) et la triamcinolone (Albicort®, KénacortA®). Ils sont dosés à 40 mg/ampoule pour le méthylprednisolone et à 50 mg/ampoule de 5 ml soit 10 mg/ml pour la triamcinolone.

Pour l’étude analysée ici, c’est un produit plus concentré de triamcinolone (40 mg/ml) qui a été utilisé. Cette concentration n’est pas disponible et, en conséquence n’est pas utilisée en Belgique. Cette étude ne s’articule donc pas directement avec la pratique clinique la plus répandue dans notre pays.

Considérations sur la méthodologie

Il s’agit d’une RCT basée sur des hypothèses correctement explicitées, tant physiopathologiques que cliniques. Les critères d’inclusion et d’exclusion sont cohérents, les critères de jugement sont pertinents par rapport aux hypothèses. Les évolutions clinique et anatomique sont évaluées par des outils validés antérieurement. Le questionnaire WOMAC est bien connu (4). En ce qui concerne l’évaluation de l’épaisseur du cartilage articulaire par IRM, les auteurs ont utilisé la méthode publiée et validée par Zhang et al. en 2014 (5) et 2015 (6). En 2003, Raynauld et son équipe de Montréal (7) avaient démontré que l’évaluation par IRM permettait d’évaluer l’épaisseur du cartilage articulaire de genoux arthrosiques.

Une durée d’étude de 2 ans semble cohérente pour une pathologie chronique, même si on peut toujours espérer une durée d’étude plus longue. L’analyse des résultats est réalisée en ITT. Les résultats sont présentés de façon claire. Les conclusions respectent tant les objectifs de l’étude que les résultats observés.

 

Interprétation des résultats 

L’hypothèse de départ repose sur le paradoxe du rôle de l’inflammation dans la pathogénie de la gonarthrose, affection d’origine principalement mécanique. Le postulat est que l’inflammation induite par les débris d’usure a un effet délétère sur le cartilage articulaire et donc que cet effet chondrolytique pourrait être bloqué par un corticostéroïde. En d’autres mots, le contrôle de l’inflammation par un corticostéroïde intra-articulaire peut-il avoir un effet favorable sur la préservation du capital cartilagineux du genou tout en sachant que cette molécule a non seulement un effet anti-inflammatoire mais également un effet catabolique sur le tissu collagène ? La réponse est donc que l’effet anti-anabolique domine et que le corticostéroïde intra-articulaire injecté régulièrement ne favorise pas la préservation du capital cartilagineux du genou.  

Mise en perspective

  • D’un point de vue physiopathologique 

Une littérature ancienne a suggéré chez le chien que l’acétate de méthylprednisolone en intra-articulaire pouvait avoir un effet favorable sur l’évolution du cartilage articulaire de l’animal d’expérience (8). Une méta-analyse ultérieure critique ces études expérimentales qui donnent des résultats différents suivant l’animal utilisé : le lapin réagit moins bien que le chien ! (9)  

Raynauld, qui a participé à cette étude de 1994, a tenté en 1999 (10) pareille étude chez l’homme en utilisant, pour apprécier l’évolution, des radiographies standards. Ses résultats ont été publiés en 2003 (11). Les auteurs affirment que l’injection de 40 mg d’acétonide de triamcinolone n’a pas d’effet négatif et apporte un bénéfice clinique. Cette étude est basée sur 68 patients qui ont été randomisés. 34 patients ont reçu le produit actif à raison de 4 injections par an pendant deux ans. Les 34 patients de la cohorte « placebo » ont reçu des injections de sérum physiologique. Le point faible de cette étude est bien sûr le fait que l’évolution des genoux a été faite sur des radiographies standards.

La nouvelle étude qui utilise une mesure plus fine de l’épaisseur du cartilage démontre, quant à elle, une perte cartilagineuse.

  • D’un point de vue clinique

En 2006, Minerva (12) concluait de la méta-analyse d’Arroll et al. (13) que, reprenant des études à petite échelle et cliniquement fort hétérogènes, celle-ci montrait que des infiltrations intra-articulaires de corticostéroïdes améliorent, durant une semaine, la douleur de patients souffrant de gonarthrose. Les preuves d’efficacité à long terme étaient cependant insuffisantes et les données de sécurité absentes. Sur base des preuves disponibles, il n’existait pas de place pour des infiltrations de corticostéroïdes en cas de gonarthrose, en première ligne de soins. En 2015, Minerva concluait qu’en cas d’arthrose du genou, une infiltration de corticostéroïdes deux semaines avant le début d’exercices physiques n’en améliore pas l’efficacité sur la douleur et les capacités fonctionnelles (14,15).

 

Conclusion de Minerva

Cette RCT, de méthodologie correcte, montre que dans l’arthrose du genou, versus injection de sérum physiologique, les injections intra-articulaires trimestrielles de triamcinolone pendant 2 ans n’apportent non seulement pas de soulagement significatif de la douleur mais génère une perte de l’épaisseur du cartilage articulaire.

 

Pour la pratique

Faut-il dès lors bannir les injections intra-articulaires de corticostéroïdes de l’arsenal thérapeutique du genou arthrosique ? Le GPC NICE ne recommande pas les injections intra-articulaires de corticostéroïdes (16). Certains GPC recommandent tant des traitements pharmacologiques (analgésiques, infiltrations intra-articulaires de corticostéroïdes) que des traitements non pharmacologiques (17,18). Il faut bien sûr éviter les injections itératives sur une longue période.

Néanmoins, mais cela sort du cadre de cette analyse, ce traitement peut classiquement aider à passer au-delà d’une phase inflammatoire de la maladie et contribuer à assécher un épanchement gênant.

 

Noms de marque

  • triamcinolone: Kenacort A®, Albicort®

Références  

  1. Roemer FW, Guermazi A, Felson DT, et al. Presence of MRI-detected joint effusion and synovitis increases the risk of cartilage loss in knees without osteoarthritis at 30-month follow-up: the MOST study. Ann Rheum Dis 2011;70:1804-9. DOI: 10.1136/ard.2011.150243
  2. Wernecke C, Braun HJ, Dragoo JL. The effect of intra-articular corticosteroids on articular cartilage: a systematic review. Orthop J Sports Med 2015;3:2325967115581163. DOI: 10.1177/2325967115581163
  3. Kellgren JH, Lawrence JS. The epidemiology of chronic rheumatism. In: Atlas of standard radiographs of arthritis, Vol. 2. Oxford: Blackwell Scientific, 1963.
  4. Stratford PW, Kennedy DM, Woodhouse LJ, Spadoni GF. Measurement properties of the WOMAC LK 3.1 pain scale. Osteoarthritis Cartilage 2007;15:266-72. DOI: 10.1016/j.joca.2006.09.005
  5. Zhang M., Driban JB, Price LL et al. Development of a rapid knee cartilage damage quantification method using magnetic resonance image. BMC Musculoskeletal Disord 2014; 15,264. DOI: 10.1186/1471-2474-15-264
  6. Zhang M, Driban JB, Price LL, et al. Development of a rapid cartilage damage quantification method for the lateral tibiofemoral compartment using magnetic resonance images: data from the osteoarthritis initiative. Biomed Res Int 2015;2015:634275. DOI: 10.1155/2015/634275
  7. Raynauld JP, Kauffman C, Beaudoin G et al. Reliability of a quantification imaging system using magnetic resonance images to measure cartilage thickness and volume in human normal and osteoarthritic knees. Osteoarthritis Cartilage 2003:11;351-60. DOI: 10.1016/S1063-4584(03)00029-3
  8. Pelletier JP, Mineau F, Raynauld JP, et al. Intraarticular injections with methylprednisolone acetate reduce osteoarthritic lesions in parallel with chondrocyte stromelysin synthesis in experimental osteoarthritis. Arthritis Rheum 1994;37:414-23. DOI: 10.1002/art.1780370316
  9. Vandeweerd JM, Zhao Y, Nisolle JF, et al, Effect of corticosteroids on articular cartilage: have animal studies said everything? Fundam Clin Pharmacol 2015;29:427-38. DOI: 10.1111/fcp.12137
  10. Raynauld JP. Clinical trials: impact of intraarticular steroid injections on the progression of knee osteoarthritis. Osteoarthritis Cartilage 1999;7:348-9. DOI: 10.1053/joca.1998.0193
  11. Raynauld JP, Buckland-Wright C, Ward R, et al. Safety and efficacity of long-term intraarticular steroid injection in osteoarthritis of the knee: a randomized, double-blind, placebo-controlled trial. Arthritis Rheum 2003;48:370-7. DOI: 10.1002/art.10777
  12. Poelman T. Les infiltrations de corticostéroïdes efficaces pour la gonarthrose? MinervaF 2006;5(4):56-7.
  13. Arroll B, Goodyear-Smith F. Corticosteroid injections for osteoarthritis of the knee: meta-analysis. BMJ 2004;328:869-73. DOI: 10.1136/bmj.38039.573970.7C
  14. Poelman T. Arthrose du genou : intérêt d’une infiltration de corticostéroïdes avant des exercices physiques ? Minerva bref 15/03/2016.
  15. Henriksen M, Christensen R, Klokker L, et al. Evaluation of the benefit of corticosteroid injection before exercise therapy in patients with osteoarthritis of the knee: a randomized clinical trial. JAMA Intern Med 2015;175:923-30. DOI: 10.1001/jamainternmed.2015.0461
  16. National Institute for Health and Care Excellence. Osteoarthritis: care and management. NICE Clinical guideline [CG177]. Published 2014.
  17. Arthrose. Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour: 08/05/2014.
  18. Niet-traumatische knieklachten. NHG-standaard M107. Laatste update: 2016.

 

 




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