Revue d'Evidence-Based Medicine



Quels médicaments efficaces en cas d’insuffisance cardiaque avec fraction d’éjection préservée ?



Minerva 2019 Volume 18 Numéro 1 Page 7 - 10

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Zheng SL, Chan FT, Nabeebaccus AA, et al. Drug treatment effects on outcomes in heart failure with preserved ejection fraction: a systematic review and meta-analysis. Heart 2018;104:407-15. [Epub 2017 Aug 5.] DOI: 10.1136/heartjnl-2017-311652


Question clinique
Chez des patients (fort) âgés présentant une insuffisance cardiaque avec une fraction d’éjection du ventricule gauche ≥ 40%, quelle est l’efficacité des traitements médicamenteux proposés dans cette indication versus comparateur (placebo, contrôle ou traitement de référence) en termes de mortalité de toute cause, sur un suivi de 3 mois à 3 ans ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyses n’apporte pas d’élément réellement probant pour montrer l’intérêt des différents médicaments proposés pour traiter une insuffisance cardiaque avec fraction d’éjection du ventricule gauche préservée. Elle confirme une preuve (de niveau limité : 1 petite RCT) de l’intérêt des bêta-bloquants en post infarctus avec FEVG d’au moins 40%.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Les GPC actuels ne font pas de recommandations, faute de preuves, pour les traitements médicamenteux ciblant l’insuffisance cardiaque à FEVG préservée, sauf pour des diurétiques à titre symptomatique en cas de rétention hydrique. Ils insistent cependant sur l’intérêt de la prise en charge des comorbidités, plus fréquentes en cas de FEVG préservée. Cette synthèse méthodique n’apporte pas d’élément suffisamment probant pour remettre ces recommandations en cause, tout en soulignant (comme les études d’observation) l’intérêt potentiel des bêta-bloquants chez certains patients (phénotype encore à préciser).


 

Contexte

La définition actuelle d’insuffisance cardiaque se limite aux stades symptomatiques d’une pathologie basée sur la description de la fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG). Cette FEVG peut être réduite (< 40%), préservée (≥ 50%) ou, selon une nouvelle classification, de valeur moyenne (40 à 49%) (1). La proportion de patients présentant une insuffisance cardiaque qui est diagnostiquée préservée varie de 22 à 73% selon le contexte clinique (première ligne de soins, seconde ligne, hospitalisations), l’âge et le sexe, les antécédents (infarctus du myocarde) et les années de publication (1).

Si des traitements médicamenteux en cas d’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection réduite sont recommandés sur base de preuves établies, il n’en est pas de même en cas de fraction d’éjection préservée (1,2), aucun traitement n’ayant, selon ces guides de pratique clinique (GPC), prouvé de manière convaincante une réduction de la morbidité ou de la mortalité en cas de FEVG préservée ou de valeur moyenne (1). Une synthèse méthodique publiée en 2017 revoit la littérature dans ce domaine.

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyses

Sources consultées

  • bases de données : Medline, Embase, Cochrane Central Register of Controlled Trials jusqu’au 1er mai 2016, recherche contrôlée au 1er avril 2017 (pas de nouvelle publication)
  • consultation des listes de référence des études incluses et des synthèses méthodiques et méta-analyses publiées.

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : RCT incluant des sujets avec insuffisance cardiaque et fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG) préservée (seuil ≥ 40%), comparant un traitement médicamenteux à un placebo, à une absence de traitement, un diurétique ou un traitement de référence, sur une période minimale de suivi de 12 semaines, avec mention de résultats pour des critères de jugement primaires et secondaires prédéfinis ci-dessous
  • critères d’exclusion : études non publiées en anglais
  • inclusion de 27 publications concernant un total de 25 études avec 28 comparaisons.

Populations étudiées

  • études : 6 avec un bêta-bloquant, 5 avec un IECA, 6 avec un sartan, 5 avec un antagoniste de l’aldostérone, 2 avec un antagoniste du calcium et 1 par autre médicament (digoxine, sildénafil, sitaxentan ou doxazosine)
  • seuil de FEVG : 7 études avec un seuil de 40%, 9 études avec un seuil de 45 et 50%.
  • 18101 patients au total : 1299 dans les études avec un bêta-bloquant, 1305 avec un IECA évalué, 9704 avec un sartan évalué, 4003 avec la spironolactone, 988 avec la digoxine, 242 avec un antagoniste du calcium, 216 avec le sildénafil, 192 avec le sitaxentan, 145 avec la doxazosine
  • caractéristiques des patients inclus dans les études originales : non décrites dans cette synthèse méthodique ; les études concernant les bêta-bloquants incluaient des patients âgés   d’au moins 70 ans (moyennes de 72 à 81 ans).

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : mortalité de toute cause
  • critères secondaires : mortalité cardiovasculaire, hospitalisation pour insuffisance cardiaque, capacité à l’effort (distance de marche sur 6 minutes, la durée d’exercice, le Volume d'Oxygène Maximum (VO2max)), la qualité de vie mesurée au Minnesota Living With Heart Failure Questionnaire (MLHFQ), les marqueurs biologiques (BNP, NT-proBNP)
  • en risque relatif (RR) pour les critères binaires et en différence moyenne pondérée (DMP) pour les valeurs continues.

Résultats

  • critère de jugement primaire : mortalité de toute cause (16 études) : résultat significatif uniquement pour les bêta-bloquants (3 études (carvédilol, nébivolol, propranolol), 1046 patients) : RR de 0,78 avec IC à 95% de 0,65 à 0,94 ; p = 0,008 ; I2 = 0%) ; résultat non significatif pour les autres médicaments et pour l’ensemble des médicaments
  • critères de jugement secondaires :
    • mortalité cardiovasculaire (11 études) : résultat significatif uniquement pour les bêta-bloquants (3 études, 1046 patients) : RR de 0,75 avec IC à 95% de 0,60 à 0,94 ; p = 0,01 ; I2 = 0%) ; résultat non significatif pour les autres médicaments et pour l’ensemble des médicaments
    • hospitalisation pour insuffisance cardiaque : résultat significatif pour la méta-analyse de l’ensemble des études : RR à 0,88 avec IC à 95% de 0,81 à 0,95 ; résultat non significatif pour chaque classe de médicament et, individuellement, pour toutes les RCTs incluses.
    • qualité de vie (9 études, 3510 patients) : meilleure sous traitement : DM -1,63 avec IC à 95% de -2,94 à -0,31.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’efficacité des traitements chez les patients présentant une insuffisance cardiaque avec une fraction d’éjection du ventricule gauche ≥ 40% est différente selon le type de traitement, les bêta-bloquants montrant une réduction de la mortalité globale et cardiovasculaire ; de futures recherches sont nécessaires pour confirmer l’efficacité d’un traitement par bêta-bloquant pour ce groupe de patients.

Financement de l’étude 

British Heart Foundation, le dernier auteur (Dr.Ayis), a reçu des fonds du Health Research Biomedical Research Centre.

Conflits d’intérêts des auteurs

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique repose sur une méthodologie correctement développée, mais présente des limites importantes. Les auteurs ont effectué une recherche exhaustive de la littérature sur le sujet, dans 3 bases de données. La sélection des études a été réalisée sur des critères prédéfinis, de manière indépendante par deux auteurs, avec extraction des données également par deux auteurs de manière indépendante. Les chercheurs ont évalué les risques de biais suivant les critères de la Cochrane Collaboration et recherché la présence d’un biais de publication (si au moins 10 études prises en compte). Ils n’en ont pas mis en évidence. L’effet sommé est correctement analysé en mode d’effets aléatoires. Ils ont réalisé une stratification des résultats selon la classe médicamenteuse, la durée de suivi (3 à 12 mois versus plus de 12 mois), le seuil initial de fraction d’éjection (FE) (40 à 49% et ≥ 50%), la FE moyenne (< 60% et ≥ 60%). Ils ont analysé l’hétérogénéité « statistique » entre les études selon l’test I² de Higgins calcule le pourcentage de variation entre les études lié à une hétérogénéité et non au hasard, donnée importante lors de la sommation des différents résultats. Ce test statistique évalue la non concordance (‘inconsistency’) dans les résultats des études. Au contraire du Test Q, le test I² dépend du nombre d’études disponibles. Un résultat de test 0 à 40% = l’hétérogénéité pourrait être peu importante ; 30 à 60% = l’hétérogénéité peut être modérée ; 50 à 90% = l’hétérogénéité peut être substantielle ; 75 à 100% = l’hétérogénéité est considérable.">I² de Higgins.

Le biais majeur de cette méta-analyse est la durée variable des études, qui pour la plupart donnent des résultats en RR et non en HR. Sommer les résultats d’études sur des durées variables est problématique, comme le montrent ces auteurs-ci dans leur discussion : dans l’étude avec le perindopril (3), des résultats non significatifs après 2,1 ans de suivi étaient en faveur du perindopril à 1 an de suivi. L’autre limite importante est l’hétérogénéité clinique importante des sujets inclus dans les études, mal caractérisée dans cette publication.

Interprétation des données

Cette synthèse méthodique avec méta-analyses ne montre un résultat favorable d’un traitement médicamenteux que de manière (très) limitée et, finalement, peu solide. Les résultats ne sont favorables en termes de mortalité, globale et cardiovasculaire, que pour les bêta-bloquants. Les méta-analyses pour ces deux critères reposent sur 3 études : deux d’entre elles ne montrent pas de résultats significatifs, à savoir une première, publiée en 2009 (4), évaluant le nébivolol, et une deuxième, publiée en 2013 (5), évaluant le carvédilol. Seule l’étude d’Aronow et al. publiée en 1997 (6) montre un résultat favorable pour ces critères. Cette petite étude (158 patients, 111 femmes et 47 hommes, d’un âge moyen de 81ans (DS ± 8), FEVG moyenne de 56%) ne concerne que des sujets ayant fait un infarctus du myocarde (avec onde Q) au moins 6 mois auparavant, population donc spécifique. Il faut tenir compte de l’intérêt particulier des bêta-bloquants en post-infarctus avec insuffisance cardiaque. Il n’est donc pas correct d’extrapoler les résultats de ces (petites) méta-analyses à l’ensemble des patients présentant une insuffisance cardiaque avec FEVG préservée.

En termes d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque, si un résultat favorable est calculé pour la sommation des résultats de l’ensemble des études, aucune des RCTs incluses ne montre de résultat significatif. Ce résultat de méta-analyse reste donc une hypothèse à confirmer dans une RCT correcte (7).
Pour ce qui est de l’amélioration de la qualité de vie, une DMP de 1,63 pour un score de 0 à 105 (8) semble peu pertinente, ce que les auteurs reconnaissent dans leur discussion.

L’hétérogénéité trop importante (I2 = 84,4%) entre études pour les biomarqueurs ne permet pas de tirer des conclusions dans ce domaine.

Aucune étude n’a inclus uniquement des patients avec FE de 40 à 49% et aucune n’a mentionné d’analyse spécifique pour ce sous-groupe. Les experts de l’European Society of Cardiology reconnaissent dans leur GPC (1) qu’aucun traitement n’a apporté de preuve de son efficacité en termes de morbidité ou de mortalité en cas d’insuffisance cardiaque à FEVG préservée ou de valeur moyenne.

Autres publications

Une méta-analyse incluant 2 RCTs et 10 études d’observation (9) avec un total de 21206 patients a montré un RR de 0,91 (avec IC à 95% de 0,87 à 0,95) pour les bêta-bloquants chez des patients présentant une insuffisance cardiaque avec FEVG préservée. Deux études d’observation publiées par après ont également des résultats favorables.

Une étude d’observation prospective (10), avec analyse par paires suivant un score de propension, a montré, dans une population de patients d’un âge moyen de 76 ans (DS 12) présentant une insuffisance cardiaque avec fraction d’éjection préservée, qu’un traitement par bêta-bloquant diminuait la mortalité de toute cause, sans différence pour un critère combiné de mortalité de toute cause et d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque.

Une étude prospective sur 10 ans (11) avec ajustement de propension a montré l’intérêt du bisoprolol ou du carvédilol chez 2704 sujets présentant une insuffisance cardiaque avec FEVG préservée en termes de mortalité de toute cause et cardiovasculaire et d’hospitalisations.

Ce bénéfice montré dans des études d’observation reste à confirmer dans des RCTs de méthodologie correcte.

Points de vue complémentaires nécessaires

Les sujets présentant une insuffisance cardiaque avec FEVG préservée sont en moyenne plus âgés et avec davantage de comorbidités que ceux présentant une insuffisance cardiaque avec FEVG diminuée (pathologies pulmonaires, diabète, anémie, obésité (12), mais également aussi fréquentes HTA, fibrillation auriculaire). Le nécessaire traitement des comorbidités, particulièrement dans le domaine cardiovasculaire, peut justifier (preuves à l’appui), le recours à certains médicaments non prouvés efficaces lors d’une approche visant la seule insuffisance cardiaque.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique avec méta-analyses n’apporte pas d’élément réellement probant pour montrer l’intérêt des différents médicaments proposés pour traiter une insuffisance cardiaque avec fraction d’éjection du ventricule gauche préservée. Elle confirme une preuve (de niveau limité : 1 petite RCT) de l’intérêt des bêta-bloquants en post infarctus avec FEVG d’au moins 40%.

 

Pour la pratique

Les GPC actuels (1,2,13) ne font pas de recommandations, faute de preuves, pour les traitements médicamenteux ciblant l’insuffisance cardiaque à FEVG préservée, sauf pour des diurétiques à titre symptomatique en cas de rétention hydrique. Ils insistent cependant sur l’intérêt de la prise en charge des comorbidités, plus fréquentes en cas de FEVG préservée.

Cette synthèse méthodique n’apporte pas d’élément suffisamment probant pour remettre ces recommandations en cause, tout en soulignant (comme les études d’observation) l’intérêt potentiel des bêta-bloquants chez certains patients (phénotype encore à préciser).

 

Références 

  1. Ponikowski P, Voors AA, Anker SD, et al. 2016 ESC Guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure: The Task Force for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure of the European Society of Cardiology (ESC). Developed with the special contribution of the Heart Failure Association (HFA) of the ESC. Eur  Heart J 2016;37:2129-200. DOI: 10.1093/eurheartj/ehw128
  2. Scottish Intercollegiate Guidelines Network. Management of chronic heart failure. A national clinical guideline. SIGN publication no. 147. [March 2016.]
  3. Cleland JG, Tendera M, Adamus J, et al; PEP-CHF Investigators. The perindopril in elderly people with chronic heart failure (PEP-CHF) study. EurHeart J 2006;27:2338-45. DOI: 10.1093/eurheartj/ehl250
  4. van Veldhuisen DJ, Cohen-Solal A, Böhm M, et al. Beta-blockade with nebivolol in elderly heart failure patients with impaired and preserved left ventricular ejection fraction: data from SENIORS (Study of effects of Nebivolol intervention on outcomes and rehospitalization in seniors with Heart failure). J Am Coll Cardiol 2009;53:2150–8. DOI: 10.1016/j.jacc.2009.02.046
  5. Yamamoto K, Origasa H, Hori M; J-DHF Investigators. Effects of carvedilol on heart failure with preserved ejection fraction: the japanese diastolic Heart failure study (J-DHF). Eur J Heart Fail 2013;15:110-8. DOI: 10.1093/eurjhf/hfs141
  6. Aronow WS, Ahn C, Kronzon I. Effect of propranolol versus no propranolol on total mortality plus nonfatal myocardial infarction in older patients with prior myocardial infarction, congestive heart failure, and left ventricular ejection fraction > or = 40% treated with diuretics plus angiotensin-converting enzyme inhibitors. Am J Cardiol 1997;80:207-9. DOI: 10.1016/S0002-9149(97)00320-2
  7. Cucherat M. Méta-analyse des essais thérapeutiques. Elsevier Masson 1995, p. 36.
  8. Naveiro-RiloJC, Diez-Juárez  DM, Romero Blanco A, et al. Validation of the Minnesota living with heart failure questionnaire in primary care. Rev Esp Cardiol 2010;63:1419-27. DOI: 10.1016/S1885-5857(10)70276-0
  9. Liu F, Chen Y, Feng X, et al. Effects of beta-blockers on heart failure with preserved ejection fraction: a meta-analysis. PLoS One 2014;9:e90555. DOI: 10.1371/journal.pone.0090555
  10. Lund LH, Benson L, Dahlström U, et al. Association between use of beta-blockers and outcomes in patients with heart failure and preserved ejection fraction. JAMA 2014;312:2008-18. DOI: 10.1001/jama.2014.15241
  11. Ruiz G, Andrey JL, Puerto JL, et al. Prognosis of heart failure with preserved ejection fraction treated with β-blockers: A propensity matched study in the community. Int J Cardiol 2016;222:594-602. DOI: 10.1016/j.ijcard.2016.07.292
  12. Mentz RJ, Kelly JP, von Lueder TG, et al. Noncardiac comorbidities in heart failure with reduced versus preserved ejection fraction. J Am Coll Cardiol 2014;64:2281-93. DOI: 10.1016/j.jacc.2014.08.036
  13. Van Royen P, Chevalier P, Dekeulenaer G, et al. Recommandation de Bonne Pratique Insuffisance cardiaque. Domus Medica/SSMG 2011.



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