Revue d'Evidence-Based Medicine



Dépression mineure : antidépresseurs et benzodiazépines efficaces ?



Minerva 2011 Volume 10 Numéro 7 Page 84 - 85

Professions de santé


Analyse de
Barbui C, Cipriani A, Patel V, et al. Efficacy of antidepressants and benzodiazepines in minor depression: a systematic review and meta-analysis. Br J Psychiatry 2011;198:11-6.


Question clinique
Chez des patients adultes présentant une dépression mineure, quelle est l’efficacité des antidépresseurs et des benzodiazépines sur les symptômes dépressifs ?


Conclusion
Cette étude ne montre pas un bénéfice cliniquement pertinent des antidépresseurs versus placebo pour la prise en charge de patients présentant une dépression mineure, entité clinique par ailleurs mal définie dans cette recherche. Pour l’intérêt des benzodiazépines dans cette indication, aucune conclusion n’est possible, par manque d’études.


 

Contexte

Une dépression qualifiée de mineure, de subsyndromale ou subliminale est moins précisément identifiée comme entité qu’une dépression majeure. Terluin, dans une synthèse concernant le traitement du surmenage (1), utilise les termes de « dépression mineure » comme termes de recherche et illustre l’imprécision de ces termes. Rappelons que le DSM IV donne une définition de dépression majeure de forme mineure si 2 à 4 des 9 symptômes décrits pour la dépression majeure persistent au moins 2 semaines (2). Les patients qui présentent une dépression mineure sont fréquemment traités par antidépresseurs ou benzodiazépines (3) mais, à ce jour, aucune synthèse méthodique n’a évalué l’efficacité d’un traitement par antidépresseurs ou benzodiazépines pour des patients en dépression mineure.   

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

Sources consultées

  • MEDLINE, CINAHL, EMBASE, PsycInfo et Cochrane Controlled Trials Register jusqu’en mai 2009
  • recherche sur internet des études cliniques, des études non publiées, de la littérature grise, recherche d’études cliniques sur les sites web de l’industrie pharmaceutique, d’études cliniques, d’agences de régulation
  • pas de restriction de langue.

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : études randomisées, contrôlées, en double aveugle, incluant des patients âgés de plus de 18 ans présentant une dépression mineure selon les critères du DSM IV, le code ICD ou Research Diagnostic Criteria et évaluant antidépresseur ou benzodiazépine versus placebo
  • critères d’exclusion : études quasi randomisées, avec dépression majeure non exclue, comorbidité sévère
  • 719 articles isolés : seules 6 études satisfont aux critères d’inclusion : 3 avec la paroxétine, 1 avec la fluoxétine, avec l’amitriptyline ou l’isocarboxazide toujours versus placebo.

Population étudiée

  • adultes présentant une dépression mineure : 2 études concernent des sujets >60 ans ; 3 études se déroulent en première ligne de soins ; les études incluent de <40 (3 études) à >80 sujets (mais <160 dans 3 d’entre elles).

Mesure des résultats

  • critères de jugement : différence moyenne pour le score final ou pour la différence valeur finale versus valeur initiale sur différentes échelles de dépression (Hamilton Rating Scale for Depression (HRSD), MADRS évalue la gravité de la dépression par le biais d'un entretien semi-structuré à 10 items (score maximal de 60 points).">Montgomery-Asberg Depression Scale (MADRS) ou Clinical Global Impression rating scale (CGI)) pour les antidépresseurs ou benzodiazépines versus placebo ; différences pour les antidépresseurs versus placebo en termes de pourcentage de patients sans réponse thérapeutique, évoluant vers une dépression majeure ou quittant prématurément l’étude
  • au hasard mais aussi à des variations réelles entre les études. L’hypothèse d’un modèle d’effet aléatoire est qu’il existe une «population» d’effets éventuels avec une répartition précise autour d’un effet global moyen.">analyse en modèle d’effets aléatoires.

Résultats

  • pas de RCT évaluant benzodiazépine versus placebo
  • score final de dépression : pas de différence significative entre antidépresseurs et placebo (N = 3) : différence moyenne de -0,93 (IC à 95% de -2,27 à 0,41)
  • absence de réponse thérapeutique : pas de différence significative entre antidépresseurs et placebo (N = 6) : Rapport de Risque de 0,94 (IC à 95% de 0,81 à 1,08)
  • pourcentage de sorties d’étude : pas de différence significative entre antidépresseurs et placebo (N = 2) : Rapport de Risque de 1,06 (IC à 95% de 0,65 à 1,73)
  • pas de données concernant l’évolution vers une dépression majeure.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent à des preuves d’absence probable d’intérêt clinique important pour l’administration d’antidépresseurs versus placebo chez des patients présentant une dépression mineure. Aucune conclusion ne peut être formulée concernant les benzodiazépines en cas de dépression mineure au vu de l’absence de preuves disponibles.

Financement

Department of Mental Health and Substance Abuse, World Health Organisation (OMS).

Conflits d’intérêt

Le 4ème auteur a été rémunéré comme consultant pour la firme Lundbeck et comme expert pour Sanofi-Aventis.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique est techniquement bien élaborée. Deux chercheurs ont, indépendamment l’un de l’autre, isolé les études publiées ou non. Une définition de dépression mineure n’est pas précisée dans les critères d’inclusion des études et seules 3 études utilisent les critères du DSM III ou IV pour ce diagnostic : la population incluse dans la méta-analyse est donc hétérogène, rassemblant une population avec symptômes dépressifs pouvant être variables. Pour évaluer la qualité méthodologique des différentes études, les chercheurs utilisent les outils de recherche de biais élaborés par la Cochrane Collaboration. La qualité globale des études est relativement faible. L’absence d’imputation des données manquantes est particulièrement soulignée. Deux études ne mentionnent pas de déviations standards. Pour 2 études ne fournissant pas les résultats concernant le nombre de patients avec amélioration, les résultats en données continues sont transformés en données dichotomiques par les auteurs. Seules 2 études sur 4 font une stratification distinguant les patients avec dépression mineure, ceux avec une dépression majeure, ceux avec dysthymie. Trois des 6 études incluses sont financées par des firmes.

Interprétation des résultats

Les résultats de cette synthèse méthodique ne nous permettent pas de tirer des conclusions pour la pratique. La qualité méthodologique des 6 études incluses est faible (voir paragraphe précédent). Seule une étude inclut plus de 100 patients. La durée moyenne de suivi dans une étude est de 6 à 12 semaines, ce qui est court pour un patient présentant une symptomatologie dépressive. Les études évaluent certains des antidépresseurs présentés comme des premiers choix  dans la RBP belge (paroxétine, fluoxétine, amitriptyline) mais non d’autres (fluvoxamine, sertraline, citalopram) (4).

Pour le score d’Hamilton, la limite inférieure de l’IC à 95% de la différence moyenne entre les groupes est de -2,27 points, ce qui reste encore inférieur à une différence de 3 points citée comme cliniquement pertinente par NICE (5). Pour la différence exprimée en Réduction de Risque Relative, la borne de l'IC de 19% est également inférieure au seuil de 25% considéré comme cliniquement pertinent par le GRADE working Group. Une évolution éventuelle des patients vers une dépression majeure en fin d’étude n’est mentionnée dans aucune d’elles.

Autres études

Les résultats de cette synthèse méthodique, à interpréter prudemment, renforcent les preuves apportées par de précédentes importantes méta-analyses. Kirsch et coll. (5) ont montré en 2008 déjà, que l’efficacité des antidépresseurs augmente en fonction du degré de sévérité de la dépression et qu’une efficacité clinique pertinente de ces médicaments est surtout observée dans les dépressions sévères. Turner a publié durant la même année 2008 (6) une méta-analyse montrant qu’un biais de publication amenait à surévaluer l’efficacité des antidépresseurs de plus de 30%. Fournier et coll. (7) ont confirmé dans une autre méta-analyse publiée en 2010, sur données individuelles, que le bénéfice le plus important des antidépresseurs est obtenu chez les patients présentant une dépression majeure (très) sévère ; le bénéfice à attendre d’un antidépresseur versus placebo chez des patients présentant une dépression légère ou modérée est, par contre, inférieur au seuil de pertinence clinique. Par ailleurs, une approche thérapeutique non médicamenteuse de patients présentant une dépression mineure se montre efficace dans une méta-analyse de Cuijpers (8). Cette étude-ci renforce donc la nécessité de s’abstenir d’un traitement médicamenteux de problèmes psychiques très fréquents en première ligne de soins qui ne correspondent pas à un diagnostic de dépression majeure, au profit d’une prise en charge non médicamenteuse, psychologique. Les recommandations de l’OMS recommandent clairement pour ce groupe de patients un investissement supplémentaire en ressources humaines, formation, supervision et disponibilité de travailleurs des soins de santé pour pouvoir réellement mettre à disposition ces alternatives non médicamenteuses (9).

 

Conclusion de Minerva

Cette étude ne montre pas un bénéfice cliniquement pertinent des antidépresseurs versus placebo pour la prise en charge de patients présentant une dépression mineure, entité clinique par ailleurs mal définie dans cette recherche. Pour l’intérêt des benzodiazépines dans cette indication, aucune conclusion n’est possible, par manque d’études.

 

Pour la pratique

Les médicaments antidépresseurs (tricyclique ou inhibiteur de la recapture de la sérotonine) ne sont recommandés que dans les formes sévères de troubles dépressifs (NP 1). En cas de dépression légère ou modérée, un traitement non médicamenteux est recommandé (NP 1). Cette prise en charge non médicamenteuse comporte au niveau du médecin généraliste, au minimum : la prise en considération des plaintes, des facteurs déclenchants et protecteurs, de la psycho-éducation et de l’activation du patient (NP 2) (4). Cette étude-ci n’apporte pas de preuve franche d’une efficacité des antidépresseurs en cas de dépression mineure. Il nous reste donc en tant que médecins généralistes à œuvrer avec d’autres soignants, tels que des psychologues en première ligne de soins, dans ce groupe important de patients avec symptomatologie dépressive ne répondant pas aux critères de dépression majeure, pour une moindre prescription de médicaments psychotropes et pour un investissement plus important dans une prise en charge non médicamenteuse.  

 

Références

  1. Terluin B, Van Dijk DM, Van der Klink JJ, et al. De behandeling van overspanning. Een systematisch literatuuroverzicht. Huisarts Wet 2005;48:7-12.
  2. American Psychiatric Association. Diagnostic Statistical Manual of Mental Health, 4th Edition, 2000.
  3. Demyttenaere K, Bonnewyn A, Bruffaerts R, et al. Clinical factors influencing the prescription of antidepressants and benzodiazepines: results from the European study of the epidemiology of mental disorders (ESEMeD). J Affect Disord 2008;110:84-93.
  4. Heyrman J, Declercq T, Rogiers R, et al. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering: Depressie bij volwassenen: aanpak door de huisarts. Huisarts Nu 2008;37:284-317.
  5. De Meyere M. Un lien entre l’efficacité des nouveaux antidépresseurs et la sévérité de la dépression ? MinervaF 2008;7(9):134-5.
  6. Turner EH, Matthews AM, Linardator E, et al. Selective publication of antidepressant trials and its influence on apparant efficacy. N Engl J Med 2008;358:252-60.
  7. Fournier JC, DeRubeis RJ, Hollon SD, et al. Antidepressant drug effects and depression severity: a patient-level meta-analysis. JAMA 2010;303:47-53.
  8. Cuijpers P, Smit F, van Straten A. Psychological treatments of subthreshold depression: a meta-analytic review. Acta Psychiatr Scand 2007;115:434-41.
  9. WHO. Scaling up care for the mental, neurological, and substance use disorders. World Health Organization 2008.
Dépression mineure : antidépresseurs et benzodiazépines efficaces ?

Auteurs

Declercq T.
huisarts ; Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
COI :

Poelman T.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent
COI :

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