Revue d'Evidence-Based Medicine



Quel est l’intérêt de l’injection par corticoïde en cas de fasciite plantaire ?



Minerva 2020 Volume 19 Numéro 5 Page 56 - 59

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Whittaker GA, Munteanu SE, Menz HB, et al. Corticosteroid injection for plantar heel pain: a systematic review and meta-analysis. BMC Musculoskelet Disord 2019;20:378. DOI: 10.1186/s12891-019-2749-z


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité en termes de réduction de la douleur, d’amélioration fonctionnelle et de sécurité d’injection de corticostéroïdes versus tout autre comparateur chez des patients présentant une fasciite plantaire ?


Conclusion
Cette revue systématique avec méta-analyses montre une efficacité supérieure à court terme de l’injection de corticoïde sur certaines autres thérapies, comme les semelles orthopédiques et l’injection de sang autologue. Aucune différence significative n’est observée à moyen terme. A long terme, l’injection de corticoïde est moins efficace que l’aiguilletage à sec et l’injection de plasma enrichi en plaquettes. (Presque) tous les résultats sont associés à un faible ou très faible niveau de qualité des preuves selon GRADE. De façon remarquable, la comparaison avec l’injection de placebo ne montre aucun bénéfice à court et moyen terme. Lorsque les essais à haut risque de biais sont exclus, aucun résultat significatif n’apparaît. Les risques et effets secondaires des injections de corticoïde ont très probablement été sous-rapportés.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Pour les patients présentant une fasciite plantaire, NICE recommande le repos, l’application de glace, la prise d’antalgiques (y compris AINS), des exercices d’étirement, des semelles orthopédiques et des injections par corticoïdes. En cas de fasciite plantaire réfractaire, NICE parle également des interventions par injection de sang autologue et par ondes de choc extracorporelles mais n’en recommande aucune. Ebpracticenet stipule qu’il est possible d’administrer des injections de glucocorticoïdes/d'anesthésique localement du côté médial du talon jusqu'à une profondeur de 2,5–3 cm au site d'insertion douloureux du fascia plantaire. Si nécessaire, les injections seront répétées à 3 semaines d’intervalle, avec un maximum de 2 à 3 fois. Le traitement de la fasciite plantaire doit donc rester avant tout conservateur. Les résultats de cette synthèse méthodique avec méta-analyses ne modifient par ces recommandations et un traitement par injection de corticoïde ne peut pas être recommandé en routine. Si le thérapeute désire offrir cette technique à son patient, il doit l’informer des limites et des risques de cette prise en charge, mais, la variabilité individuelle en réponse aux traitements proposés pourrait offrir une amélioration des symptômes pour certains patients.


Contexte

La fasciite plantaire est la cause la plus fréquente de douleur plantaire chez l’adulte. Cette pathologie, le plus souvent localisée à l’insertion du fascia plantaire au niveau du talus, est favorisée par la station debout prolongée et/ou un surpoids, et provoque une douleur dès le lever qui invalide la marche et peut avoir des répercussions sur la capacité au travail. Une prise en charge physique – exercices d’étirement, semelles orthopédiques, attelle de nuit et si possible perte de poids (1) – est souvent proposée en première intention. L’injection par corticoïde dépôt est parfois proposée après échec des premières mesures. Minerva avait déjà analysé l’efficacité des ondes de choc extracorporelles (2-5) et de l’étirement du fascia (6,7) dans le traitement de la fasciite, mais jamais des injections. Le but de cette revue systématique avec méta-analyse est d’évaluer l’efficacité de l’injection par corticoïde par rapport aux autres traitements chez les adultes souffrant de fasciite plantaire.

D’autres revues systématiques avaient déjà abordé la même question mais toutes n’avaient pas poolé les données en méta-analyse ni analysé les niveaux de preuve par la méthode GRADE (Grading of Recommendations, Assessment, Development and Evaluation).

 

Résumé

Méthodologie 

Synthèse méthodique avec méta-analyses

 

Sources consultées

  • Medline, Cinahl, Sportdiscus, Embase et Cochrane Library.

Etudes sélectionnées 

  • critères d’inclusion : essais cliniques randomisés qui comparaient l’injection de corticoïde à toute autre intervention (placebo ou traitement actif) pour la fasciite plantaire et mesuraient les résultats en termes de douleur ou de fonction
  • critères d’exclusion : essais quasi randomisés et les essais qui incluaient plusieurs techniques d’injection ou plusieurs co-interventions non proposées à tous les groupes
  • finalement 47 études ont été retenues pour cette revue systématique, dont 39 permettaient d’extraire des résultats pour une méta-analyse.

Population étudiée 

  • inclusion d’un total de 2989 patients qui avaient en moyenne 46,5 ans, dont le BMI moyen était de 28,9 kg/m², et dont 65,1% étaient des femmes
  • la taille moyenne des groupes dans les essais était de 28 participants par groupe.

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaire : la douleur et la fonction, toutes deux comparées entre groupes par différence de moyenne standardisée (Standardised Mean Difference) et évalués sur le court (0 à 6 semaines), le moyen (7 à 12 semaines) et le long terme (13 à 52 semaines)
  • critères de jugement secondaire : épaisseur du fascia plantaire ; effets indésirables
  • une méta-analyse a été réalisée à chaque fois que plus de 2 essais comparaient l’injection de corticoïde au même comparateur dans les mêmes délais d’évaluation pour un critère de jugement
  • une analyse de sensibilité a été réalisée en cas d’hétérogénéité entre études trop importante.

Résultats 

  • pour les critères de jugement primaires, les résultats montrent à court, moyen et long terme pour les injections de corticostéroïdes versus autres comparateurs :

 

Tableau : les résultats sont indiqués en DMS (avec IC à 95%) :

 

Injection corticoïde comparé à

Court terme

(0 – 6 sem)

Moyen terme
(7 – 12 sem)

Long terme
(13 – 52 sem)

Douleur

Fonction

Douleur

Fonction

Douleur

Fonction

Injection placebo

-0,98
[-2,06, 0,11]

 

-0,86
[-1,9, 0,19]

 

Pas de données

 

Injection de sang autologue

-0,56
[-0,86, -0,26]

 

-0,31
[-0,83, 0,21]

 

-0,05
[-0,31, 0,21]

 

Semelle orthopédique

-0,91
[-1,69, -0,13]

-0,78

[-1,81, 0,25]

-0,17
[-1,30, 0,97]

Non calculable

Non calculable

Pas de données

Thérapie physique

-1,07
[-2,75, 0,60]

-0,69
[-1,31, -0,07]

-0,74
[-1,51, 0,03]

-0,55
[-1,14, 0,03]

-0,00

[-0,39, 0,38]

Non calculable

Aiguilletage à sec

-0,86
[-3,70, 1,97]

 

Non calculable

 

1,45

[0,70, 2,19]

 

Injection toxine botulique A

0,67
[-0,04, 1,38]

0,76
[-0,24, 1,76]

Non calculable

Non calculable

Non calculable

Non calculable

Injection plasma enrichi en plaquettes

-0,16

[-0,70, 0,38]

-0,18
[-0,47, 0,10]

0,32
[-0,19, 0,83]

0,10
[-0,18, 0,39]

0,61

[0,16, 1,06]

0,21
[-0,08, 0,49]

Thérapie par onde de choc

-0,32
[-0,77, 0,12]

0,11
[-0,18, 0,41]

-0,05
[-0,60, 0,49]

0,21
[-0,08, 0,51]

0,45
[-0,09, 0,99]

Non calculable

Thérapie par laser

-0,20
[-0,61, 0,20]

 

Non calculable

 

Non calculable

 

Injection anesthésique local

-0,34
[-0,73, 0,04]

 

0,04
[-0,34, 0,42]

 

0,22
[-0,87, 1,31]

 

 

    • (tableau, en gras) les différences statistiquement significatives
    • les niveaux de qualité des preuves sont cotés faible à très faible pour tous les items liés à la douleur (sauf versus placebo coté modéré) et à la fonction (sans exception)
  •  pour les critères de jugements secondaires :
    • les résultats se rapportant à l’épaisseur du fascia plantaire ne montrent pas de différence significative, pour aucun comparateur étudié et les analyses de sensibilité ne mettent également aucune différence significative en évidence.
    • pour les effets secondaires, seules 5 études rapportent des douleurs post-injection plus importantes, sans mentionner si la différence est statistiquement significative ou non.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs de cette synthèse méthodique avec méta-analyses concluent que pour contrôler la douleur à court terme, l’injection de corticoïde montre une efficacité supérieure sur certaines autres thérapies, mais uniquement à court terme. De façon remarquable, l’injection de corticoïde semble avoir la même efficacité que l’injection de placebo à court et moyen terme. Des études correctes d’un point de vue méthodologiques devraient être menées pour renforcer ces résultats.

 

Financement de l’étude

Aucun financement direct.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

5 auteurs de la revue systématique sont aussi auteurs de certains essais inclus.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

La revue s’est conformée à la méthode PRISMA (Preferred Reporting Items for Systematic Reviews and Meta-analyses). Sélection des articles réalisée de façon indépendante par 2 auteurs (GAW et JMG) sur base du titre et de l’abstract ; extraction des données réalisée de façon standardisée par un auteur, vérifiée au hasard sur 25% des essais par un autre auteur pour exclure les erreurs d’extraction ; calcul de la moyenne, de la taille d’échantillon et de la déviation standard pour les résultats pour chaque période (court, moyen et long terme) ; analyse des données par ReVMan ; regroupement des essais en fonction du comparateur ; calcul de l’effet relatif de chaque traitement par différence moyenne ; calcul statistique de l’hétérogénéité par Chi² et et analyse de sensibilité si nécessaire. Les risques de biais ont été analysés de façon indépendante par 2 autres auteurs. Si un seul critère d’évaluation des biais était jugé à haut risque de biais, alors tout l’essai était jugé à haut risque. Calcul de l’accord entre auteurs par coefficient pondéré kappa. Evaluation de la qualité des essais au départ des critères de jugement par la méthode GRADE.

La méthodologie de cette revue systématique peut donc difficilement être mise en défaut.

 

Interprétation des résultats

Par contre l’interprétation des résultats est rendue extrêmement difficile, premièrement par la qualité des essais inclus - faibles tailles d’échantillon, absence d’aveuglement des participants et des évaluateurs (biais très fréquemment retrouvé) – et ensuite par la grande hétérogénéité entre essais, notamment au niveau des types de corticoïde (8 types différents de corticoïdes ont été utilisés, l’acétate de méthylprednisolone étant le plus commun (23 /47 essais), des techniques d’injection (la majorité sans guidance échographique (35 /47 essais)) ou de l’association (le plus souvent) ou non avec un anesthésique local (le plus souvent la lidocaïne). Un descriptif des différents comparateurs retrouvés dans les essais manque également pour d’abord bien les comprendre (par exemple, pour le terme « aiguilletage à sec ») - et ensuite être sûr qu’ils étaient bien comparables entre eux dans les méta-analyses.

Du fait que les comparateurs ne sont pas décrits de façon précise, il est difficile pour le lecteur de pouvoir évaluer la balance bénéfice – risque dans chaque comparaison. En particulier le risque de douleur liée à chaque intervention est très peu mentionné, il n’est même pas évalué dans 17 des 47 essais, et il est étonnant que seuls 5 essais sur 30 rapportent une douleur post-injection comme seul effet indésirable. Or on peut supposer qu’une injection dans la plante du pied est un acte douloureux chez la grande majorité des patients. Par ailleurs d’autres effets indésirables et risques liés aux injections locales de corticoïde sont connus : risque de rupture tendineuse, d’infection, de nécrose graisseuse, d’atrophie et/ou de pigmentation cutanée (cfr RCP des produits). Aucune mention n’en est faite dans cette revue et il est dès lors fort probable que ces risques aient été sous-rapportés dans les différents essais inclus.

 

Mise en perspective des résultats

La méthode et les résultats de la revue systématique analysée ici sont fort comparables à la revue systématique Cochrane (8) : le haut risque de biais dans la plupart des essais inclus rend toute conclusion incertaine. La revue Cochrane montrait un faible avantage de l’injection par corticoïde versus placebo sur la douleur à court terme en calculant la différence par Score Visuel Analogique, cet avantage devenant marginal lorsqu’il est calculé par Différence Clinique Minimale Significative. La revue Cochrane ne signale la supériorité d’aucune autre intervention, par défaut de qualité de preuve. Une revue exploratoire des effets indésirables réalisée dans 21 essais cite 2 cas de rupture du fascia et 3 cas d’infection post-injection de corticoïde.

Le site NICE (9) parle des interventions par injection de sang autologue et par ondes de choc extracorporelles pour la fasciite plantaire réfractaire mais n’en recommande aucune.

Le site de la SSMG ne fournit qu’un avis d’expert plaidant pour les ondes de choc en cas de douleur persistante (10).

Une revue systématique (11) datant de 2014 par l’association américaine de thérapie physique déconseille l’injection de corticoïde car le faible bénéfice sur la douleur à court terme est contrebalancé par les risques liés à la procédure.

 

Conclusion de Minerva

Cette revue systématique avec méta-analyses montre une efficacité supérieure à court terme de l’injection de corticoïde sur certaines autres thérapies, comme les semelles orthopédiques et l’injection de sang autologue. Aucune différence significative n’est observée à moyen terme. A long terme, l’injection de corticoïde est moins efficace que l’aiguilletage à sec et l’injection de plasma enrichi en plaquettes. (Presque) tous les résultats sont associés à un faible ou très faible niveau de qualité des preuves selon GRADE. De façon remarquable, la comparaison avec l’injection de placebo ne montre aucun bénéfice à court et moyen terme. Lorsque les essais à haut risque de biais sont exclus, aucun résultat significatif n’apparaît. Les risques et effets secondaires des injections de corticoïde ont très probablement été sous-rapportés.

 

Pour la pratique

Pour les patients présentant une fasciite plantaire, NICE (9) recommande le repos, l’application de glace, la prise d’antalgiques (y compris AINS), des exercices d’étirement, des semelles orthopédiques et des injections par corticoïdes. En cas de fasciite plantaire réfractaire, NICE parle également des interventions par injection de sang autologue et par ondes de choc extracorporelles mais n’en recommande aucune. Ebpracticenet (1) stipule qu’il est possible d’administrer des injections de glucocorticoïdes/d'anesthésique localement du côté médial du talon jusqu'à une profondeur de 2,5–3 cm au site d'insertion douloureux du fascia plantaire. Si nécessaire, les injections seront répétées à 3 semaines d’intervalle, avec un maximum de 2 à 3 fois. Le traitement de la fasciite plantaire doit donc rester avant tout conservateur.

Les résultats de cette synthèse méthodique avec méta-analyses ne modifient par ces recommandations et un traitement par injection de corticoïde ne peut pas être recommandé en routine. Si le thérapeute désire offrir cette technique à son patient, il doit l’informer des limites et des risques de cette prise en charge, mais, la variabilité individuelle en réponse aux traitements proposés pourrait offrir une amélioration des symptômes pour certains patients.

 

 

Références 

  1. Talgalgie (fasciopathieplantaire). Ebpracticenet. Dernière mise à jour: 24/07/2017 . Dernière révision contextuelle : 28/10/2017. Consulté le 10/5/2020.
  2. Vermeersch V, Poelman T. Traitement extracorporel par ondes de choc dans la fasciite plantaire chronique ? MinervaF 2016;15(6):143-6.
  3. Gollwitzer H, Saxena A, DiDomenico LA, et al. Clinically relevant effectiveness of focused extracorporeal shock wave therapy in the treatment of chronic plantar fasciitis. J Bone Joint Surg Am 2015;97:701-8. DOI: 10.2106/JBJS.M.01331
  4. De Muynck M. Thérapie par ondes de choc extracorporelles pour épine calcanéenne. MinervaF 2004;3(9):143-4.
  5. Haake M, Buch M, Schoellner C et al. Extracorporeal shockwave therapy for plantar fasciitis: randomised controlled multicentre trial. BMJ 2003;327:75-9. DOI: 10.1136/bmj.327.7406.75
  6. Vanderstraeten G. Exercices d'étirement pour fasciite plantaire chronique. MinervaF 2004;3(9):141-2.
  7. DiGiovanni BF, Nawoczenski DA, Lintal ME, et al. Tissue-specific plantar fascia-stretching exercise enhances outcomes in patients with chronic heel pain. A prospective randomized study. J Bone Joint Surg 2003;85:1270-7. DOI: 10.2106/00004623-200307000-00013
  8. David JA, Sankarapandian V, Christopher PR, et al. Injected corticosteroids for treating plantar heel pain in adults. Cochrane Database Syst Rev 2017, Issue 6. DOI: 10.1002/14651858.CD009348.pub2
  9. National Institute for Health and Care Excellence. Extracorporeal shockwave therapy for refractory plantar fasciitis. Interventional procedures guidance [IPG311]. Published date: 26 August 2009. URL: https://www.nice.org.uk/guidance/ipg311/chapter/2-The-procedure
  10. Gombault V. Les douleurs du pied: comment la clinique peut-elle nous aider? Congrès UCL de Médecine Générale, 28, 29 et 30 mai 2015.
  11. Robroy L, Davenport TE, Reischl SF, et al. Heel pain - plantar fasciitis: revision 2014. J Orthop Sports Phys Ther 2014;44:A1-33. DOI: 10.2519/jospt.2014.0303

 

 




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