Revue d'Evidence-Based Medicine



Prophylaxie du VIH pré-exposition chez les hommes



Minerva 2011 Volume 10 Numéro 6 Page 75 - 76

Professions de santé


Analyse de
Grant RM, Lama JR, Anderson PL, et al for the iPrEx Study Team. Preexposure chemoprophylaxis for HIV prevention in men who have sex with men. N Engl J Med 2010;363:2587-99.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité d’une thérapie antirétrovirale avant exposition pour la prévention de la transmission du VIH ?


Conclusion
Cette étude, malgré quelques limites méthodologiques, montre une certaine efficacité du traitement prophylactique pré-exposition chez les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes à haut risque d’acquisition du VIH s’ il est accompagné de conseils de réduction de risque et de distribution de préservatifs.


 

Contexte

Les dernières données du rapport épidémiologique de l’Institut de Santé Publique (1) belge montre avec 1 135 nouveaux cas en Belgique en 2009, que le nombre de contaminations par le VIH a atteint le niveau le plus élevé depuis le début de l’épidémie, avec une nette augmentation de la transmission chez les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes. Un traitement prophylactique post-exposition est recommandé après un risque d’exposition professionnel et non-professionnel à des fluides infectés par le VIH (2,3) mais est limité par le fait que les personnes doivent reconnaître une possible exposition au VIH et que ce traitement doit être pris endéans les 72 heures après un risque d’exposition.

 

Résumé

Population étudiée

  • critères d’inclusion : hommes ou transgenres séronégatifs pour le VIH, ayant des rapports sexuels avec des hommes, âgés d’au moins 18 ans, et ayant des risques élevés d’acquisition du VIH
  • caractéristiques des 2 499 patients randomisés sur 4 905 sélectionnés : personnes originaires d’Amérique du Sud (Pérou 56%, Equateur 12%, Brésil 15%), des Etats-Unis 9%, de Thaïlande 5% et d’Afrique du Sud 4%. Les 6 derniers mois avant inclusion, près de 41% ont eu des rapports pour de l’argent et près de 80% mentionnent des rapports anaux non protégés
  • critères d’exclusion : anomalie de laboratoire à l’inclusion (augmentation des GPT, hyperbilirubinémie, insuffisance rénale, diabète), séropositivité pour le VIH.

Protocole d’étude

  • étude multicentrique randomisée contrôlée en double aveugle
  • intervention : emtricitabine 300 mg plus ténofovir 200 mg (FTC/TDF) (n=1 251) versus placebo (n=1 248), en une prise par jour permanente ; toutes les personnes incluses ont reçu un test VIH, un counseling de réduction des risques, des préservatifs et une éducation sur les infections sexuellement transmises
  • suivi (médiane de 1,2 ans) : toutes les 4 semaines (test VIH, counseling de réduction de risque des IST, suivi de l’adhérence et distribution de préservatifs) et tous les 3 mois (examen clinique, test sanguin et urinaire, évaluation des pratiques à risque)
  • une sous-étude évalue chez les patients ayant été contaminés par le VIH le dosage sanguin des antirétroviraux et l’effet prophylactique.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : taux de séroconversion VIH
  • critères de jugement secondaires : incidence des contaminations par d’autres IST que le VIH, réduction des pratiques sexuelles à risque.

Résultats

  • arrêts d’étude : 8 sous FTC/TDF, 13 sous placebo
  • critère de jugement primaire : réduction relative du risque d’acquisition du VIH de 44% dans le groupe FTC/TDF (IC à 95% de 15 à 63 ; p=0,005) ; pas de différence significative selon la région, la race ou l’ethnie, la circoncision, la prise d’alcool ou l’âge mais efficacité supérieure (RRR 58% ; IC à 95% de 32 à 74) chez les personnes ayant mentionné à l’inclusion des rapports anaux non protégés ; en cas d’arrêt de la médication, le taux de séroconversion est similaire dans les 2 groupes (161 dans le groupe FTC/TDF et 159 dans le groupe placebo, p=0,2) ; une meilleure adhérence augmente l’efficacité relativement de 73% (IC 95% de 41 à 88 ; p<0,001)
  • critères de jugement secondaires :
    • diminution des pénétrations anales non protégées et augmentation de l’utilisation des préservatifs dans les 2 groupes, sans différence entre les groupes
    • pas de différence concernant la syphilis, le gonocoque, le chlamydia, les verrues génitales et les ulcères génitaux
  • sous-étude pharmacologique : dans le groupe FTC/TDF, la drogue est détectée chez 51% des séronégatifs et chez 9% des patients infectés, avec RRR d’acquisition du VIH de 92% (IC à 95% de 40 à 99 ; p<0,001), cette RRR étant de 95% (IC 95% de 70 à 99 ; p<0,001) après ajustement si rapports anaux non protégés
  • effets indésirables : nausées plus fréquentes les 4 premières semaines de traitement dans le groupe FTC/TDF versus placebo (p<0,001) ; autres effets indésirables similaires dans les 2 groupes, de l’ordre de 70%.

Conclusion des auteurs 

Les auteurs concluent que le traitement prophylactique oral pré-exposition emtricitabine + ténofovir offre une protection contre une infection au VIH chez les patients. Les niveaux sanguins détectables des antirétroviraux sont fortement corrélés à l’effet prophylactique.

Financement

Division of Acquired Immunodeficiency Syndrome (DAIDS), National Institute of Allergy and Infectious Diseases, National Institutes of Health, Bill and Melinda Gates Foundation et J. David Gladstone Institutes. Les médicaments ont été donnés par la firme Gilead Sciences.

Conflits d’intérêt 

Plusieurs auteurs déclarent avoir reçu des honoraires d’une ou plusieurs firmes (dont Gilead Sciences) à titres divers ; 2 auteurs sont employés par cette firme.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

L’analyse des résultats est faite en intention de traiter modifiée (ITTm) : les patients exclus sont des patients avec présence de l’ARN de VIH lors de l’inclusion (2 dans le bras traité, 8 dans le bras placebo). Dans une analyse des patients traités (« as treated ») sont exclus ceux avec absence de test VIH de suivi (25 dans le groupe traité, 23 dans le groupe placebo) ou mauvaise adhérence (moins de 50%). Une analyse en ITTm peut représenter une rupture de garantie de la randomisation (4) mais ce risque est ici négligeable vu la très faible proportion de sujets concernés. Les auteurs présentent les résultats en extrapolant les données manquantes (imputation pour les données manquantes). L’analyse de l’efficacité est par ailleurs différente selon qu’elle est faite en ITT (47% IC à 95% de 22 à 65 ; p=0,001) ou en patients observants, c’est-à-dire avec > 90% de prise selon leur propre déclaration sans contrôle, soit 49% des patients (73% IC à 95% de 41 à 88 ; p<0,001). Les critères de jugement ne sont pas clairement définis dans la description du protocole.

Les auteurs se livrent à de nombreuses analyses de sous-groupes sans donner le nombre de patients par sous-groupe ce qui rend l’interprétation des résultats difficile et fort hypothétique.

Mise en perspective des résultats

Des études sur les animaux (5) et sur des personnes séronégatives pour le VIH (6) ont montré que le traitement prophylactique pré-exposition peut être efficace, est bien toléré et accepté. L’utilisation du préservatif a clairement démontré son efficacité dans la prévention de la transmission sexuelle du VIH, de même que les interventions de type comportemental et le counseling, la circoncision (7), le traitement antirétroviral hautement actif des personnes porteuses du VIH (8), le traitement des IST. Nous avons précédemment insisté dans Minerva sur l’importance du counseling (9) particulièrement chez les personnes à haut risque. Ce counseling est généralement présenté comme une intervention comportementale comprenant des conseils en éducation sexuelle, des formations de type augmentation des compétences, ou le soutien pour l’adoption de comportement sexuel à moindre risque ou l’abstinence.

En Belgique, le traitement prophylactique post-exposition non professionnelle (ou professionnelle non couverte par une assurance) est remboursé par l’INAMI (3) : le traitement doit être administré rapidement (dans les 4 heures et au maximum dans les 48 à 72 h après le risque d’exposition), et doit être prescrit dans les centres de référence SIDA, les services des urgences ou les consultations rattachées à ces centres en respectant les guidelines nationaux (10).

Versus bénéfice potentiel de ce traitement prophylactique, il faut placer dans la balance les effets indésirables de ces médicaments, l’apparition potentielle de virus résistants, leur coût et rapport coût/bénéfice en fonction d’une observance plus ou moins bonne (49% d’observance dans le cadre de cette étude), leur coût/bénéfice versus autres stratégies de prévention surtout si un tel traitement médicamenteux conduit à un relâchement des mesures de précaution (non observé ici, mais dans le cadre d’une étude). L’examen des caractéristiques des patients inclus (grandes villes, nombreux partenaires sexuels e.a.) dans un cadre de prévalence beaucoup plus importante d’infections au VIH pose question pour l’extrapolabilité des résultats de cette étude et incite d’autant plus à réaliser une évaluation coût/bénéfice de cette approche.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude, malgré quelques limites méthodologiques, montre une certaine efficacité du traitement prophylactique pré-exposition chez les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes à haut risque d’acquisition du VIH s’ il est accompagné de conseils de réduction de risque et de distribution de préservatifs.

 

Pour la pratique

Le Center for Disease Control and Prevention CDC conseille l’administration d’une prophylaxie pré-exposition pour la prévention du VIH chez les hommes ayant des rapports avec d’autres hommes en cas de risque élevé d’acquisition sexuelle du VIH, accompagnée par des conseils de réduction de risque, un testing VIH régulier et la distribution de préservatifs (11,12).

Cette étude confirme l’intérêt d’une telle approche spécifique. La faisabilité de l’application d’une telle stratégie dans notre contexte de soins reste à évaluer ainsi que son rapport coût/efficacité versus autres approches préventives non médicamenteuses.

 

Nom de marque

emtricitabine + ténofovir disoprostil: Truvada®

 

Références

  1. Institut de Santé Publique. VIH-SIDA : rapport annuel – situation au 31 décembre 2009.
  2. EACS. European Treatment guidelines. Version 5-3.  URL : http://www.europeanaidsclinicalsociety.org/guidelines.asp
  3. Libois A. News in the treatment of sexually transmitted diseases. Rev Med Brux 2009;30:379-84.
  4. Chevalier P. Analyse en intention de traiter modifiée. MinervaF 2011;10(2):25.  
  5. Cohen MS, Kashuba AD. Antiretroviral therapy for prevention of HIV infection: new clues from an animal model. PLoS Med 2008;5:e30.
  6. Peterson L, Taylor D, Roddy R, et al. Tenofovir disoproxil fumarate for prevention of HIV infection in women: a phase 2, double-blind, randomized, placebo-controlled trial. PLoS Clin Trials 2007;2:e27.
  7. OMS et ONUSIDA. URL : Circoncision et prévention du VIH : conséquences des recherches sur les politiques et les programmes. Mars 2007.
  8. Donnell D, Baeten JM, Kiarie J, et al. Heterosexual HIV-1 transmission after initiation of antiretroviral therapy: a prospective cohort analysis. Lancet 2010;375:2092-8.
  9. Semaille P. Counseling et infections sexuellement transmissibles. Minerva 2009;8(5):62-3.
  10. Société belge d’infectiologie et de microbiologie clinique. URL : http://www.sbimc.org/guidelines.htm
  11. Smith DK, Grant RM, Weidle PJ. Interim guidance: preexposure prophylaxis for the prevention of HIV infection in men who have sex with men. MMWR 2011;60:65-8.
  12. Sexually Transmitted Diseases Treatment Guidelines, 2010. MMWR 2010;59:1-110.
Prophylaxie du VIH pré-exposition chez les hommes

Auteurs

Semaille P.
Département de Médecine Générale, Université Libre de Bruxelles
COI :

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