Revue d'Evidence-Based Medicine



Effet des applications de cybersanté sur la prise en charge de l’hypertension artérielle ?



Minerva 2022 Volume 21 Numéro 4 Page 79 - 82

Professions de santé

Ergothérapeute, Infirmier, Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Cavero-Redondo I, Saz-Lara A, Sequi-Dominguez I, et al. Comparative effect of eHealth interventions on hypertension management-related outcomes: a network meta-analysis. Int J Nurs Stud 2021;124:104085. DOI: 10.1016/j.ijnurstu.2021.104085


Question clinique
Chez les patients hypertendus, quel est l’effet des applications de cybersanté sur la réduction de la pression artérielle systolique et diastolique, le contrôle de la pression artérielle, l’observance médicamenteuse, l’augmentation de l’activité physique et l’amélioration de la qualité de vie par comparaison avec la prise en charge standard ?


Conclusion
Correctement menée d’un point de vue méthodologique, cette méta-analyse en réseau d’études hétérogènes avec un risque de biais souvent élevé ou indéterminé montre que différentes applications de cybersanté, telles que l’entretien par téléphone, l’application pour smartphone et une combinaison de différents outils numériques, ont un effet faible à modéré sur l’abaissement de la tension artérielle systolique et diastolique. Un effet statistiquement significatif sur le contrôle de la pression artérielle est également observé avec la plupart des applications.


Contexte

De plus en plus de professionnels de santé se tournent vers les applications de cybersanté telles que les téléconsultations et les vidéo-consultations, la télésurveillance, les sites Web, les applications Web, les courriers électroniques, les textos, les applications smartphone. Souvent, ces outils sont utilisés pour atteindre des objectifs médicaux dans des maladies chroniques, comme l’hypertension artérielle. En 2014, Minerva a publié un commentaire indiquant les résultats d’une étude randomisée contrôlée (RCT) portant sur la télésurveillance de la mesure de la pression artérielle à domicile chez 200 patients atteints d’hypertension non contrôlée (1,2). Le patient transmettait par voie électronique ses mesures de pression artérielle prises à domicile à un site Web que le médecin consultait chaque semaine. Le médecin pouvait alors éventuellement adapter le traitement (médical) et informer immédiatement le patient par courrier électronique ou texto. Par rapport au groupe témoin « prise en charge standard », une diminution statistiquement significative de la pression artérielle systolique (moyenne -4,6 mmHg) et diastolique (moyenne -2,8 mmHg) a été notée après 6 mois. Nous nous sommes alors demandé quelle était la signification de ce gain en termes de pertinence clinique, de durabilité à long terme et de rentabilité (3).

Resumé

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse en réseau

 

Sources consultées

  • MEDLINE, EMBASE, le registre central Cochrane des essais contrôlés (Cochrane Central Register of Controlled Trials), Web of Science ; jusque mai 2020
  • complétées avec les listes de référence des articles trouvés.

 

Études sélectionnées

  • critères d’inclusion : RCT, non-RCT (sans randomisation) et études pilotes avec un groupe témoin qui examinaient l’effet des applications de cybersanté d’autogestion de l’hypertension (entretiens par téléphone, télésurveillance de la pression artérielle, courriers électroniques, sites Web, applications pour smartphone, textos) sur la variation de la pression artérielle systolique et diastolique, le contrôle de la pression artérielle, la qualité de vie, l’observance du traitement médicamenteux et l’adhésion à l’intervention pour une activité physique accrue 
  • exclusion des publications redondantes (d’une même étude), des revues, des éditoriaux, des commentaires, des guides de pratique clinique, des rapports de cas et des articles avec des données manquantes pour la méta-analyse en réseau (également après contact avec les auteurs)
  • 51 études ont finalement été incluses (39 RCTs, 4 RCTs multicentriques, 4 RCTs en grappes et 4 non-RCTs) ; elles ont été menées entre 2001 et 2020 dans 18 pays (Asie, Europe, Afrique, Amérique du Nord et Amérique du Sud) avec un suivi qui variait de 1 à 13 mois (6 mois dans 24 études).

 

Population étudiée

  • un total de 915 patients âgés de 49 à 78,3 ans présentant une hypertension artérielle (dans 13 études sur l’hypertension non contrôlée).

 

Mesure des résultats

  • effet sur les modifications de la pression artérielle systolique et diastolique et sur la qualité de vie, exprimé en taille d’effet (d de Cohen)
  • effet sur l’observance du traitement médicamenteux, sur l’adhésion à l’intervention pour une activité physique accrue et sur le contrôle de la pression artérielle, exprimés en risque relatif (RR), respectivement de perte d’observance, de non-réalisation d’une intervention pour une activité physique accrue et de non-contrôle de la pression artérielle
  • analyse de sous-groupe pour la « durée de l’intervention »
  • analyse de sensibilité.

 

Résultats

  • réduction modérée, statistiquement significative, de la pression artérielle systolique et diastolique avec les entretiens par téléphone (d de Cohen respectivement de -0,37 (avec IC à 95% de -0,57 à -0,17 ; p < 0,001) et -0,29 (avec IC à 95% de -0,52 à -0,07 ; p = 0,011)), avec l’application pour smartphone (d de Cohen respectivement de -0,26 (avec IC à 95% de -0,50 à -0,01 ; p = 0,040) et -0,40 (avec IC à 95% de -0,7 à -0,10 ; p = 0,010)) et avec la combinaison d’au moins deux interventions de cybersanté (d de Cohen respectivement de -0,46 (avec IC à 95% de -0,64 à -0,27 ; p < 0,001) et -0,29 (avec IC à 95% de -0,46 à -0,13 ; p < 0,001))
  • amélioration statistiquement significative de la qualité de vie avec la télésurveillance de la pression artérielle (d de Cohen de 0,16 (avec IC à 95% de 0,01 à 0,31 ; p = 0,032))
  • amélioration statistiquement significative de l’observance du traitement médicamenteux avec l’application smartphone (RR de 0,55 avec IC à 95% de 0,33 à 0,93 ; N = 3 ; I² = 0,82)
  • de manière statistiquement significative, meilleure adhésion à l’intervention pour plus d’activité physique avec une combinaison d’au moins deux interventions de cybersanté (RR de 0,82 avec IC à 95% de 0,74 à 0,90 ; N = 3 ; I² = 0,0) et avec les courriers électroniques (RR de 0,43 avec IC à 95% de 0,20 à 0,90 ; N = 3 ; I² = 69,3)
  • effet bénéfique statistiquement significatif sur le contrôle de la pression artérielle avec les entretiens par téléphone (RR de 0,34 avec IC à 95% de 0,18 à 0,65 ; N = 1), avec les sites Web (RR de 0,70 avec IC à 95% de 0,55 à 0,90 ; N = 2 ; I² = 79,1), avec la télésurveillance (RR de 0,71 avec IC à 95% de 0,52 à 0,97 ; N = 4 ; I² = 65,5), avec au moins deux interventions de cybersanté (RR de 0,75 avec IC à 95% de 0,57 à 0,99 ; N = 3 ; I² = 75,5) et avec les textos (RR de 0,84 avec IC à 95% de 0,75 à 0,93 ; N = 5 ; I² = 0).

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que la cybersanté convient à l’autogestion de l’hypertension artérielle. Au vu des résultats de cette étude et comme le public a de plus en plus accès aux applications de cybersanté, cet outil pourrait être utile et largement applicable dans l’autogestion de l’hypertension.

 

Discussion

Évaluation de la méthodologie

La sélection des études après une recherche systématique dans la littérature a été effectuée par deux chercheurs indépendants sur la base de critères d’inclusion et d’exclusion clairs. En cas de désaccord, il était fait appel à un troisième chercheur. L’outil Cochrane « risque de biais » a permis de déterminer que 60,8% des études pouvaient présenter un biais et que 23,5% des études présentaient un risque de biais élevé. Ce biais élevé était généralement dû à des problèmes de randomisation et à des écarts par rapport à l’intervention attribuée.

Les chercheurs ont réalisé une méta-analyse en réseau, ce qui n’est pas simple car comparer indirectement différentes études ne va pas sans risque de biais (4). Plus encore qu’avec une méta-analyse classique, les études doivent être homogènes, ce qui n’est pas toujours le cas ici. De plus, le degré d’hétérogénéité clinique est difficile à estimer correctement car on ne connaît pas toujours d’importantes caractéristiques de base des participants, comme la durée et le stade de l’hypertension, les médicaments, les comorbidités, les protocoles de télésurveillance, la motivation à participer, etc. Ils ont effectué une analyse de sous-groupes uniquement pour la « durée de l’intervention ». Pour certaines interventions, cette analyse a montré des résultats différents. Une analyse de sensibilité, omettant à chaque fois une étude, n’a pas modifié les résultats.

 

Évaluation des résultats de l’étude

Les résultats de cette méta-analyse en réseau cadrent avec ceux d’autres méta-analyses (5,6). Cela renforce la preuve que la cybersanté favorise l’abaissement de la pression artérielle par rapport à la prise en charge standard. Cependant, d’après les résultats de cette méta-analyse en réseau, l’impact de chaque intervention numérique semble différent. Dans l’ensemble, chaque méthode offre une valeur ajoutée significative, mais un entretien par téléphone, une application pour smartphone et la combinaison de plusieurs méthodes sont non seulement statistiquement mais aussi cliniquement pertinents pour la réduction de la pression artérielle. La combinaison ‘d’au moins deux interventions de cybersanté’ semble avoir l’effet le plus important sur la pression artérielle systolique. Cependant, l’analyse en sous-groupes montre que l’effet sur la pression artérielle systolique est encore plus important lorsque l’intervention téléphonique dure moins de 3 mois (d de Cohen de -0,92 (avec IC à 95% de -1,46 à -0,38)). Cela nécessite toutefois des recherches plus approfondies.

Outre ces résultats, citons une récente RCT japonaise (7) qui a examiné l’effet de la combinaison d’une télésurveillance de la pression artérielle pendant 12 semaines et d’une application donnant des conseils non médicamenteux de manière individualisée aux nouveaux patients hypertendus (n = 390, âge moyen 52 ans, BMI de 25,2 et absence de complications cardiovasculaires) (7). La première étape recommandée chez les patients présentant une hypertension essentielle et naïfs de traitement (pression artérielle moyenne 140-179/90-109 mmHg selon une mesure conventionnelle) est toujours non médicamenteuse : restriction sodée, contrôle du poids corporel, exercice physique suffisant et régulier et restriction alcoolique (8). La différence de pression artérielle systolique sur 24 heures (critère de jugement principal) était de -2,4 mmHg (avec IC à 95% de -4,5 à -0,3 ; p = 0,024) entre le groupe sous surveillance par système thérapeutique numérique (n = 199) et le groupe prise en charge standard (n = 191). Après 12 semaines, 22,2% des participants du groupe surveillance par système thérapeutique numérique avaient atteint les objectifs de tension artérielle (< 135/85 mmHg) contre 10,4% dans le groupe témoin. Concernant les critères de jugement secondaires, dans le groupe sous surveillance, la diminution du BMI était significativement plus importante (-0,2 kg/m² (avec IC à 95% de -0,4 à -0,1 ; p = 0,005)), et la consommation de sel, significativement réduite (-2,9 points avec IC à 95% de -3,7 à -2,2 ; p < 0,001). Une relation statistiquement significative a également été trouvée entre le score d’utilisation des applications et la diminution de la pression artérielle systolique surveillée en ambulatoire sur 24 heures (r = -0,23 ; p = 0,002).

Cependant, la question demeure de savoir si la télésurveillance de la pression artérielle en elle-même offre une valeur ajoutée par rapport aux mesures « normales » effectuées à domicile par le patient car la méta-analyse en réseau a montré un effet faible à modéré de la télésurveillance sur la pression artérielle systolique. Une étude britannique de McManus a examiné en parallèle, outre un groupe « télésurveillance » (n = 393) et un groupe « prise en charge standard » (n = 394), également un groupe « simple automesure » (n = 395) (9). L’âge moyen des participants était de 66,9 ans (ET 9,4), 54% étaient de sexe masculin, la pression artérielle systolique moyenne était de 153,1/85,5 mmHg (ET 14,0/10,3 mmHg), et la durée moyenne de l’hypertension était de 10,2 ans (ET 8,5 ans). Après 12 mois, la pression artérielle systolique était significativement plus faible dans les deux groupes d’intervention que dans le groupe prise en charge standard (automesure 137,0 mmHg (ET 16,7 mmHg), télésurveillance 136,0 mmHg (ET 16,1 mmHg), prise en charge standard 140,4 mmHg (ET 16,5 mmHg)), mais il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre le groupe télésurveillance et le groupe automesure (différence moyenne -1,2 mmHg (avec IC à 95% de -3,5 à 1,2 ; p = 0,322).

Toutes les études ci-dessus peuvent répondre indirectement à la question de savoir s’il existe un résultat durable à long terme sur les paramètres cliniques péjoratifs, car nous savons qu’une réduction de 10 mmHg de la pression artérielle systolique mesurée de manière conventionnelle entraîne une réduction de 20% du risque d’accident cardiovasculaire majeur, de 17% du risque de maladie coronarienne, de 27% du risque d’AVC, de 28% du risque d’insuffisance cardiaque et de 13% du risque de mortalité toutes causes confondues (10). Cependant, cette étude ne fournit pas d’analyse coûts-avantages solide. Nous n’obtenons pas non plus d’informations sur la mise en œuvre concrète de ces techniques dans les soins de santé primaires actuels. Nous pouvons certainement dire que, pour les décideurs politiques de la santé, cela sera un énorme défi que de trouver le cadre le plus efficace pour, à partir des situations des études, traduire dans la pratique clinique quotidienne une collaboration intense entre médecins et infirmier/ères et un solide soutien administratif.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Il est de plus en plus évident que la mesure de la pression artérielle à domicile est la pierre angulaire de la prise en charge de l’hypertension (8). Le rôle des applications de cybersanté pour concrétiser l’importance croissante de la participation des patients dans la prise en charge des maladies chroniques, telles que l’hypertension artérielle, n’est toutefois pas abordé.

 

Conclusion de Minerva

Correctement menée d’un point de vue méthodologique, cette méta-analyse en réseau d’études hétérogènes avec un risque de biais souvent élevé ou indéterminé montre que différentes applications de cybersanté, telles que l’entretien par téléphone, l’application pour smartphone et une combinaison de différents outils numériques, ont un effet faible à modéré sur l’abaissement de la tension artérielle systolique et diastolique. Un effet statistiquement significatif sur le contrôle de la pression artérielle est également observé avec la plupart des applications.

 

 

Références 

  1. De Cort P. Télémonitoring de la pression artérielle à domicile en cas de non contrôle. MinervaF 2014;13(4):47-8.
  2. McKinstry B, Hanley J, Wild S, et al. Telemonitoring based service redesign for the management of uncontrolled hypertension: multicentre randomized controlled trial. BMJ 2013;346:f3030. DOI: 10.1136/bmj.f3030
  3. Cavero-Redondo I, Saz-Lara A, Sequi-Dominguez I, et al. Comparative effect of eHealth interventions on hypertension management-related outcomes: a network meta-analysis. Int J  Nurs Stud 2021;124:104085. DOI: 10.1016/j.ijnurstu.2021.104085
  4. Chevalier P. Méta-analyse en réseau : comparaisons directes et indirectes. MinervaF 2009;8(10):148.
  5. Choi WS, Choi JH Oh J, et al. Effect of remote monitoring of blood pressure in management of urban hypertensive patients: a systematic review and meta-analysis. Telemed E-Health 2020;26:744-59. DOI: 10.1089/tmj.2019.0028
  6. Li R, Liang N, Bu F, Heketh T. The effectiveness of self-management of hypertension in adults using mobile health: systematic review and meta-analysis. JMIR Mhealth Uhealth 2020;8:e17776. DOI: 10.2196/17776
  7. Kario K, Nomura A, Harada N, et al. Efficacy of a digital therapeutics system in the management of essential hypertension: the HERB-DH1 pivotal trial. Eur Heart J 2021;42:4111-22. DOI: 10.1093/eurheartj/ehab559
  8. De Cort P, Christiaens T, Philips H, et al. Hypertension. Recommandations de bonne pratique. SSMG/Domus Medica 2009. Ebpracticenet. Mis à jour par le producteur 17/04/2013.
  9. McManus RJ, Mant J, Franssen M, et al. Efficacy of self-monitored blood pressure, with or without telemonitoring, for titration of antihypertensive medication (TASHMINH4): an unmasked randomised controlled trial. Lancet 2018;391:949-59. DOI: 10.1016/S0140-6736(18)30309-X
  10. Ettehad D, Emdin CA, Kiran A. et al. Blood pressure lowering for prevention of cardiovascular disease and death: a systematic review and meta-analysis. Lancet 2016;387:957-67. DOI: 10.1016/S0140-6736(15)01225-8

 




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