Revue d'Evidence-Based Medicine



Pharmacothérapie de l’obésité et du surpoids : une méta-analyse en réseau à ne pas retenir



Minerva 2022 Volume 21 Numéro 7 Page 159 - 162

Professions de santé

Diététicien, Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Shi Q, Wang Y, Hao Q, et al. Pharmacotherapy for adults with overweight and obesity: a systematic review and network meta-analysis of randomised controlled trials. Lancet 2022;399:259‑69. DOI: 10.1016/S0140-6736(21)01640-8


Question clinique
Quels sont les effets des médicaments, prescrits en plus de la modification du mode de vie, pour la gestion du poids corporel chez les adultes en surpoids et obèses, en termes de réduction de poids et d’innocuité des médicaments ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse conclut que, chez les adultes en surpoids et obèses, la phentermine-topiramate et les agonistes des récepteurs GLP-1 se sont avérés les meilleurs médicaments pour réduire le poids ; des agonistes du GLP-1, le sémaglutide pourrait être le plus efficace. Pour Minerva, elle est trop biaisée pour avoir des implications pratiques. Focalisée sur la FDA, elle ignore l’EMA et un pan de la littérature européenne très important en matière de toxicité médicamenteuse.


Contexte

L’obésité est une maladie chronique et un défi de santé publique mondial. Elle est associée à des complications telles que le diabète de type 2, les maladies cardiovasculaires, la stéatose hépatique non alcoolique, la dépression nerveuse ou le cancer, et réduit l’espérance de vie. Bien que l'intervention sur le mode de vie (régime alimentaire et exercice physique) représente la pierre angulaire de la gestion du poids, il est difficile de maintenir une perte de poids à long terme. La pharmacothérapie s’est avérée d’une efficacité très relative comme rapporté en 2008 par Minerva (1,2). Récemment, plusieurs études ont suggéré un intérêt en faveur des agonistes de la GLP-1 (glucagon-like peptide-1), comme le sémaglutide (3,4) ou le liraglutide (5,6). Une revue systématique chinoise a analysé la littérature sur la pharmacothérapie de l’obésité et de la surcharge de poids (7).

 

Résumé

Revue systématique avec méta-analyses de réseau

 

Sources consultées

             

Etudes sélectionnées

  • études randomisées comparant une modification du mode de vie et un médicament pour réduire le poids à une modification du mode de vie seule (avec ou sans placebo) ou à un autre médicament actif ; le changement de poids absolu ou relatif devait être rapporté et l’essai durer au moins 12 semaines ; l’étude devait être publiée en anglais.

 

Population étudiée

  • patients de 143 essais éligibles comprenant 49810 adultes au total, avec un âge médian de 47 ans, une proportion médiane de 75% de femmes, un BMI médian initial de 35,3 kg/m² et une durée médiane du suivi était de 24 semaines.

 

Critères de jugement

  • critères de jugement principaux : pourcentage de changement de poids corporel entre le début et la fin du suivi ; proportion de participants avec une perte de poids corporel de 5% ou plus ; proportion de participants signalant des événements indésirables entraînant l'arrêt du traitement, une reprise de poids après l'arrêt du traitement et une modification du score de qualité de vie.
  • critères de jugement accessoires : nombre total d'événements gastro-intestinaux, nombre d'événements gastro-intestinaux graves, modification du score d'image corporelle et modification des scores de symptômes de dépression et d'anxiété ; changement du poids corporel absolu entre le début et la fin du suivi ; changement de l'hémoglobine glyquée (HbA1c), du cholestérol LDL et de la pression artérielle systolique.

 

Résultats

  • critères de jugement principaux :
    • perte de poids : à l'exception de la lévocarnitine, tous les médicaments testés ont réduit le poids corporel par rapport à la seule modification du mode de vie
    • perte de poids par médicament (par ordre d’efficacité) par rapport à la seule modification du style de vie :
      • topiramate (rapport de cotes [OR] de réduction de poids ≥ 5% de 8,02 avec IC à 95% de 5,4 à 12,27 ; différence moyenne [DM] du pourcentage de variation du poids corporel de -7,97 avec IC à 95% de -9,28 à -6,66)
      • agonistes des récepteurs du GLP-1 (OR de 6,33 avec IC à 95% de 5,00 à 8,00; DM du pourcentage de variation du poids corporel de -5,76 avec IC à 95% de -6,30 à -5,21)
    • événements indésirables entraînant l'arrêt du traitement (114 études impliquant 44824 participants) :
      • naltrexone–bupropion : OR de 2,69 avec IC 95% de 2,11 à 3,43
      • phentermine–topiramate : OR de 2,40 avec IC à 95% de 1,69 à 3,42
      • agonistes des récepteurs GLP-1 : OR de 2,17 avec IC à 95% de 1,71 à 2,77
      • orlistat : OR de 1,72 avec IC à 95% de 1,44 à 2,05
    • effet sur la qualité de vie (15 essais avec 15742 adultes) : améliorée pour les médicaments évalués (phentermine–topiramate, naltrexone–bupropion, agonistes des récepteurs GLP-1) à l’exception de l’orlistat
  • critères de jugement accessoires :
    • événements gastro-intestinaux totaux (98 études portant sur 43582 participants) : naltrexone-bupropion, agonistes des récepteurs du GLP-1, metformine et orlistat parmi les pires risques de préjudice
    • dépression (sept essais avec 2498 participants) : pas d'amélioration statistiquement significative de scores des symptômes de la dépression
    • changement d’HbA1c (51 essais avec 15714 adultes) : réduction signification par les agonistes des récepteurs du GLP-1
    • changement du cholestérol LDL (76 essais avec 22756 patients) : diminution significative par l’orlistat
    • changement de la pression artérielle systolique (57 essais avec 30186 adultes) : meilleure réduction avec phentermine–topiramate et agonistes des récepteurs du GLP-1
  • analyse post-hoc : le sémaglutide (agoniste des récepteurs du GLP-1) a montré des avantages nettement plus importants que les autres médicaments avec un risque d'effets indésirables similaire à celui des autres médicaments, à la fois pour la perte de poids de 5% ou plus (OR de 9,82 avec IC à 95% de 7,09 à 13,61) et le pourcentage de variation du poids corporel (DM de -11,41 avec IC à 95% de -12,54 à -10,27).

 

Conclusion des auteurs

Chez les adultes en surpoids et obèses, la phentermine-topiramate et les agonistes des récepteurs du GLP-1 se sont avérés les meilleurs médicaments pour réduire le poids ; des agonistes du GLP-1, le sémaglutide pourrait être le plus efficace.

 

Financement de l’étude et conflits d’intérêt des auteurs

Etude financée par le « Project for Disciplines of Excellence »  (West China Hospital, Sichuan University).

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

La revue systématique a été faite selon les règles PRISMA et PROSPERO avec un protocole y enregistré. Vu l’hétérogénéité, la méta-analyse en réseau a été réalisée par des modèles à effet aléatoire. Il faut se rappeler qu’une méta-analyse en réseau somme les données de comparaisons directes et indirectes. Les résultats rapportés ne sont donc pas le fruit de la seule comparaison directe. Le niveau de preuve a été évalué par l’approche GRADE. Les risques de biais ont été déterminés avec l’outil ROB-2 pour les études randomisées. Un risque élevé de biais a été observé principalement dans les domaines des écarts par rapport aux interventions prévues et des données manquantes sur les résultats. Un risque élevé de biais dans le domaine de la mesure des résultats a été identifié pour les événements indésirables. La perte de poids et les arrêts de traitement pour effets indésirables et la toxicité digestive ont seuls un niveau de preuve fort ou moyen, et ce pour certains médicaments seulement. Les résultats sur les autres critères de jugement sont pour la plupart de faible niveau de preuve. Un autre biais important est la prise en compte de la seule littérature publiée en langue anglaise. Le benfluorex (8) est ignoré, même dans la discussion. Rappelons que pour l’identification des effets indésirables graves, il ne faut pas se baser que sur les études randomisées.

 

Évaluation des résultats

Pour les auteurs, cette méta-analyse en réseau impliquant un grand nombre d’études et de participants a fourni des preuves de niveau de certitude élevé à moyen que la phentermine-topiramate et les agonistes des récepteurs GLP-1 (et en particulier le sémaglutide) sont parmi les agents les plus efficaces pour réduire le poids chez les patients obèses. Cette méta-analyse chinoise complète celle du même type réalisée par des auteurs américains avec les médicaments approuvés par la FDA (9). Pour la pratique quotidienne en Europe et en Belgique, elle n’apporte guère de données utiles si ce n’est l’absence de données sur la perte de poids à long terme et l’existence d’effets indésirables fréquents et potentiellement assez importants pour conduire à l’arrêt du traitement.

L’association phentermine-topiramate, une association à base d’amphétamine, n’a pas eu l’autorisation de mise sur le marché dans l’Union européenne (10). Ce médicament rappelle le benfluorex et le scandale connu sous nom commercial de Médiator, problème ignoré par la revue systématique chinoise, ce qui constitue un biais majeur. En Belgique, seuls l’orlistat, l’association naltrexone–bupropion et le liraglutide sont autorisés. Les deux premiers peuvent être considérés comme des médicaments à écarter en raison de leur manque d’efficacité à long terme et de leur toxicité (11). Concernant les agonistes des récepteurs GLP-1, seul le liraglutide est autorisé. Minerva a récemment conclu à son sujet dans cette indication au manque de données probantes pour en recommander l’usage en pratique courante (5,6).

 

Que disent les guides de pratique ?

Les recommandations européennes, récemment citées dans Minerva (3,4), visent à obtenir dans l’obésité une réduction de poids d’au moins 5%. Le traitement de première intention est le régime diététique hypocalorique accompagné de la pratique d’une activité physique. Les médicaments dont l’action durable sur la perte de poids n'est pas démontrée (11) n’ont de place éventuelle qu’en cas d’échec du régime. La chirurgie bariatrique peut aussi être envisagée. La Haute Autorité de la Santé en France vient de publier ses recommandations pour la prise en charge de l’obésité (12), avec une place bien définie pour les agonistes des récepteurs GLP-1 : « En cas d’échec de la prise en charge nutritionnelle bien conduite (< 5% de perte de poids à six mois), notamment sur le comportement alimentaire et sous réserve de l’implication du patient dans les soins, on pourra débuter un traitement par analogue du GLP1 ayant l’AMM dans l’indication de l’obésité chez les patients en situation d’obésité relevant des niveaux de recours 2 et 3. Il pourra être prescrit d’emblée chez les patients dont l’obésité compromet leur autonomie ou entraîne une altération sévère de la fonction d’un organe, et pour lesquels les changements du mode de vie sont limités ». En Belgique, seul le liraglutide comme analogue du GLP1 est autorisé (13).

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse conclut que, chez les adultes en surpoids et obèses, la phentermine-topiramate et les agonistes des récepteurs GLP-1 se sont avérés les meilleurs médicaments pour réduire le poids ; des agonistes du GLP-1, le sémaglutide pourrait être le plus efficace. Pour Minerva, elle est trop biaisée pour avoir des implications pratiques. Focalisée sur la FDA, elle ignore l’EMA et un pan de la littérature européenne très important en matière de toxicité médicamenteuse. 

 

 

Références 

  1. Donders J, Poelman T. Traitement médicamenteux de l’obésité et du surpoids. MinervaF 2008;8(7):120-1.
  2. Rucker D, Padwal R, Li SK. Long term pharmacotherapy for obesity and overweight: updated meta-analysis. BMJ 2007;335:1194-9. DOI: 10.1136/bmj.39385.413113.25
  3. Sculier JP. Le sémaglutide, un agoniste de la GLP-1, permet d’obtenir, en association avec des mesures diététiques et de l’exercice, une réduction significative du poids après un an de traitement chez les adultes en surpoids ou obèses et sans diabète sucré. MinervaF 2021;20(9):114-7.
  4. Wilding JP, Batterham RL, Calanna S, et al. Once-weekly semaglutide in adults with overweight or obesity. N Engl J Med 2021;384:989. DOI: 10.1056/NEJMoa2032183
  5. Vanhaeverbeek M. Maintien d’une perte de poids volontaire par l’exercice, le liraglutide ou les deux combinés. MinervaF 2022;21(5):108-11.
  6. Lundgren JR, Janus C, Jensen SB, et al. Healthy weight loss maintenance with exercise, liraglutide, or both combined. N Engl J Med 2021;384:1719-30. DOI: 10.1056/NEJMoa2028198
  7. Shi Q, Wang Y, Hao Q, et al. Pharmacotherapy for adults with overweight and obesity: a systematic review and network meta-analysis of randomised controlled trials. Lancet 2022;399:259‑69. DOI: 10.1016/S0140-6736(21)01640-8
  8. Yerly P, Vachiéry JL. Anorexigènes et maladies cardiovasculaires : les liaisons dangereuses. Réanimation 2011;20:424‑35. Disponible sur: http://link.springer.com/10.1007/s13546-011-0301-8 (site web consulté le 3/07/2022)
  9. Khera R, Murad MH, Chandar AK, et al. Association of pharmacological treatments for obesity with weight loss and adverse events: a systematic review and meta-analysis. JAMA 2016;315:2424‑34. DOI: 10.1001/jama.2016.7602
  10. Prescrire Rédaction. Trop de risques avec l’association topiramate + phentermine  : pas autorisée dans l’Union européenne. Rev Prescrire 2013;33:737.
  11. Prescrire Rédaction. Médicaments à écarter pour mieux soigner : bilan 2022  : diabétologie - nutrition. Rev Prescrire 2021;41:490-1.
  12. Haute Autorité de Santé. Obésité de l’adulte : prise en charge de 2e et 3e niveaux. Partie I : Prise en charge médicale 2022. Disponible sur: https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2022-06/reco369_argumentaire_obesite_2e_3e_niveaux_preparation_mel_v4_2.pdf
  13. Obésité: Obésité chez l’adulte. Fiche de transparence. CBIP 2018. Disponible sur: https://ft.cbip.be/fr/frontend/indication-group/83/summary

 

 




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