Revue d'Evidence-Based Medicine



L’erreur en médecine : une opportunité d’amélioration des pratiques, un défi pour l’EBM



Minerva 2014 Volume 13 Numéro 9 Page 105 - 105

Professions de santé


 

« La nature même du travail d’un médecin signifie qu’il y a des choses qui ne peuvent pas être réparées » (1)

 

Un article récent du New England Journal of Medicine (2) aborde la question de l’erreur médicale. Il le fait pudiquement, à travers une discussion sur la manière d’aborder les erreurs… de ses confrères. La littérature médicale est remarquablement pauvre sur ce sujet. Il semble que la médecine, contrairement à d’autres domaines à haut risque comme l’industrie nucléaire ou l’aviation (3), investisse très peu dans la détection, la prévention et la réparation des erreurs. Les activités de soins exposent pourtant particulièrement les personnes à des risques et l’erreur fait partie de ces risques. Ce silence radio pose question.

Toutes les erreurs médicales ne donnent pas lieu à des effets indésirables, et encore moins à des dommages. Elles peuvent être sans conséquence ou être détectées et récupérées à temps. Les anglais parlent alors de " near-miss " (les québécois, plus poétiquement, d’ « échappée belle »). Inversement tous les effets indésirables ne résultent pas d’erreurs. Mais, en l’absence de données sur les erreurs, il est raisonnable de penser que les effets indésirables associés aux soins en donnent une approximation. Ceux-ci semblent fréquents (4), depuis un certain temps (5) et peuvent être graves (6).

Au-delà de l’importance « quantitative » du problème, le simple fait qu’il semble difficile d’en parler nous fait penser que le sujet en dit beaucoup sur nos professions (7). Du point de vue des soignants évoquons pêle-mêle l’individualisme, la bureaucratisation et la compartimentalisation des soins, mais aussi la culture de l’infaillibilité. Eric Galam (8) en parle bien : « formés à l’aune de l’exigence de perfection et de l’infamie de l’erreur, les soignants ne sont pas du tout préparés à gérer, ni même à assumer ce type de situations, souvent dramatiques, qui font partie comme le dit Christensen (9)  des bas-fonds de la médecine habités de honte, de peur et d’isolement ». Vous avez dit tabou ? Du point de vue du patient, la reconnaissance d’un dommage, pouvant résulter d’une faute, s’apparente souvent à un parcours du combattant. Même des initiatives, comme le Fond des Accidents Médicaux (10), qui dégagent le patient de la nécessité de prouver une faute médicale pour obtenir un dédommagement (et dédouane le médecin de la reconnaissance d’une responsabilité), restent marginales.

Que peut y faire l’EBM ?

Un des critères de la qualité des soins est la dispensation de soins basés sur la médecine factuelle (alias Evidence-Based Medicine, EBM). La mise à la disposition des professionnels de la santé de preuves factuelles, l’objectif de Minerva, est-elle un moyen efficace d’améliorer la qualité des soins, par exemple en limitant le risque d’erreur ? C’est peu étudié. La plupart des erreurs ne seraient en fait pas dues à des connaissances inadéquates mais plutôt à la fragilité du raisonnement clinique face à la complexité et à l’incertitude, surtout lorsqu’il est soumis à des contraintes de temps (11). Nous savons également depuis la fin des années 90, avec le célèbre rapport « To err is Human - Building a safer health system » (4), que ces évènements indésirables liés aux soins sont aussi le résultat d’un défaut d’organisation des soins, d’un manque de culture de la sécurité. Il s’agirait de passer d’une stigmatisation individuelle de l’erreur commise (erreur = faute = incompétence) à des institutions qui valorisent le fait d’en parler et se donnent les moyens d’en faire des opportunités d’amélioration des pratiques.

S’il ne suffit donc probablement pas de produire des preuves et de les mettre à disposition des thérapeutes pour améliorer globalement la qualité des soins, est-ce à dire que l’EBM est condamnée à rester un déterminant mineur de la qualité des soins ? Nous préférons y voir un défi. A côté de la nécessaire évaluation de l’efficacité intrinsèque de molécules, travail préliminaire indispensable d’information, l’EBM pourrait plus souvent se pencher sur l’étude d’interventions qui prennent en compte des aspects importants de la décision clinique en pratique de terrain (comme évoqués plus haut), par exemple une nouvelle organisation du travail comme une procédure ou une check-list (12) ou encore un outil d’aide à la décision clinique, dans le meilleur des cas partagée (13,14). Il y a donc une seconde étape d’implémentation à combler, comme EBM PracticeNet s’y essaie parfois. Enfin, elle pourrait aussi étudier des phénomènes ressentis comme importants mais trop souvent négligés comme la qualité du raisonnement clinique ou les facteurs d’adhérence aux guides de pratique au moyen de méthodologies peut-être plus adaptées (qualitatives par exemple). En somme, elle pourrait se lancer dans des recherches davantage pédagogiques et opérationnelles.

L’EBM a l’ambition de « rentrer dans la pratique » pour l’améliorer. Pour s’y intégrer judicieusement, elle devra l’étudier dans toute sa complexité. La notion d’erreur en médecine pourrait être un bon point d’entrée.

 

 

Références

  1. Hilfiker D. Facing our mistakes. N Engl J Med 1984;310:118-22.
  2. Gallagher TH, Mello MM, Levinson W, et al. Talking with patients about other clinicians’ errors. N Engl J Med 2013;369:1752-7.
  3. Croskerry P, Cosby KS, Schenkel SM, Wears RL. Patient safety in emergency medicine. Wolters Kluwer Health. August 2008.
  4. Kohn LT, Corrigan JM, Donaldson MS, editors. ‘To err is Human: Building a safer health system’, Consensus Report of Institute of Medicine (USA), Nov. 1999; Free Brief report. Available from: https://www.iom.edu/~/media/Files/Report%20Files/1999/To-Err-is-Human/To%20Err%20is%20Human%201999%20%20report%20brief.pdf
  5. de Vries EN, Ramrattan MA, Smorenburg SM, et al. The incidence and nature of in-hospital adverse events: a systematic review. Qual Saf Health Care 2008;17:216-23.
  6. Michel P. Lathelize M, Domeco S, et al. Les événements indésirables graves dans les établissements de santé : fréquence, évitabilité et acceptabilité. Etudes et Résultats n° 761 La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), mai 2011
  7. L’erreur en médecine. Pratiques N° 59, décembre 2012.
  8. Galam E. Annoncer un dommage : pas si simple. Pratiques 2012;59:67.
  9. Christensen JF, Levinson W, Dunn PM. The heart of darkness: the impact of perceived mistakes on physicians. J Gen Intern Med 1992;7:424-31.
  10. Fond des Accidents Médicaux. http://www.fam.fgov.be/fr/about-us/foundation/index.html
  11. Scott IA. Errors in clinical reasoning: causes and remedial strategies. BMJ 2009;338:b1860.
  12. Gawande A. The Checklist Manifesto: how to get things right. Profile Books, Jan 2011.
  13. La Rédaction Minerva. Prise de décision partagée : meilleurs résultats en termes d’objectifs de soins. Minerva online 15/04/2014.
  14. Weiner SJ, Schwartz A, Sharma G, et al. Patient-centered decision making and health care outcomes: an observational study. Ann Intern Med 2013;158:573-9.

 

 


Auteurs

Henrard G.
Département de Médecine générale, ULiège
COI :

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