Revue d'Evidence-Based Medicine



Diagnostic d’une infection urinaire chez le jeune enfant : quel algorithme décisionnel ?



Minerva 2017 Volume 16 Numéro 5 Page 119 - 122

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Hay A D, Birnie K, Busby J, et al. The Diagnosis of Urinary Tract infection in Young children (DUTY): a diagnostic prospective observational study to derive and validate a clinical algorithm for the diagnosis of urinary tract infection in children presenting to primary care with an acute illness. Health Technol Assess 2016;20:1-294. DOI: 10.3310/hta20510


Question clinique
Chez un enfant de moins de 5 ans présentant une altération aiguë de l’état général en première ligne de soins : 1/ Quels sont les symptômes et signes cliniques évocateurs d’une infection urinaire qui devraient induire l’analyse d’un échantillon d’urine ? 2/ Quelle est la plus-value d’une tigette urinaire ? 3/ Quel est l’algorithme décisionnel présentant le meilleur rapport coût/efficacité ?


Conclusion
L’étude DUTY correspond à une cohorte diagnostique, prospective et multicentrique, incluant 7163 enfants de moins de 5 ans se présentant en médecine générale pour une altération récente de l’état général. Sur base d’une analyse rigoureuse et adéquate, les auteurs recommandent de collecter un échantillon d’urine « à mi-jet » chez l’enfant âgé de plus de 2 ans si 3 des 5 symptômes et signes suivants sont présents : antécédent d’infection urinaire, urines malodorantes, mictalgies, absence d’une toux sévère, impression clinique d’une maladie sévère. Cette approche est dotée d’une sensibilité de 51,7%, sans amélioration cliniquement et économiquement justifiée de la tigette urinaire. Chez l’enfant de moins de 2 ans pour qui l’utilisation d’un « lange stérile » est indispensable, les données de l’étude ne permettent pas de trancher en faveur d’un modèle algorithmique, avec ou sans tigette urinaire.


Contexte

L’altération aiguë de l’état général (EG) chez l’enfant de moins de 5 ans est une des raisons principales de consultation en médecine générale. Sa prise en charge reste mal définie, notamment en ce qui concerne la recherche systématique d’une infection urinaire (IU) (1). Bien plus, dès lors que la décision a été prise d’exclure une IU, de nombreuses questions demeurent, telles que le mode de collecte et d’analyse de cet échantillon (2). L’initiation d’une antibiothérapie empirique sur base de la présomption clinique, éventuellement renforcée par le résultat de la tigette urinaire (TU), ou d’une antibiothérapie guidée par la culture d’urine positive isolée (CU) reste également débattue (1).

La présente étude, intitulée DUTY (pour Diagnosis of Urinary Tract infection in Young children (DUTY)) a été conduite afin de proposer un algorithme décisionnel basé sur les symptômes et les signes cliniques qui permettrait d’identifier l’enfant chez qui un échantillon d’urine doit être analysé. En outre, la plus-value diagnostique de la TU y est remise en question, tant du point de vue thérapeutique qu’économique.

 

Résumé

Population étudiée

  • critères d’inclusion : enfants de moins de 5 ans se présentant en médecine générale pour une altération récente (moins de 28 jours) de l’EG associée à au moins un symptôme ou signe clinique compatible avec une infection urinaire telle que prédéfinie par NICE
  • critères d’exclusion : enfant ≥ 5 ans, maladie de > 28 jours, ne présentant pas de symptôme ou de signe clinique compatible avec une IU, parents refusant la participation à l’étude, immunosuppresseurs en cours, anomalies vésicales (vessie neurogène ou chirurgicalement reconstruite), cathéter urinaire permanent ou intermittent, notion de traumatisme, une antibiothérapie récente (< 7 jours)
  • 7163 enfants âgés de moins de 5 ans ont été recrutés entre avril 2010 et avril 2012 dans 234 centres dont 225 cabinets de médecine générale, 4 services d’urgences pédiatriques et 4 maisons médicales en Angleterre et au Pays de Galle, au départ d’un contingent consécutif de 14724 enfants, dont 50,8% étaient des filles et 48,5% avaient moins de 2 ans.

 

Protocole d’étude

  • étude diagnostique de cohorte, prospective et multicentrique
  • durée de suivi de 3 mois (et appel téléphonique à 14 j pour 1276 enfants)
  • après consentement éclairé des parents, 107 données sont collectées (via les parents et les cliniciens) dont les tests index (symptômes, signes et résultats de la TU), antécédents médicaux, types et gravité des plaintes, examen médical global, et résultat de la TU
  • avant de dévoiler les résultats de la TU, le « diagnostic clinique », c.-à-d. la présomption d’une IU, et le « jugement clinique », c.-à-d. l’intention d’analyser les urines et d’engager une antibiothérapie, sont actés
  • l’étalon diagnostique est l’identification d’un germe uropathogène (≥ 105 CFU/ml) appartenant au groupe des Enterobacteriaceae
  • les urines sont collectées « à mi-jet » ou par « lange stérile »
  • la régression logistique a été réalisée de façon séquentielle : primo, symptômes et signes ; secundo, résultats de la TU.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : déterminer un algorithme décisionnel validé par rapport à l’étalon diagnostique (gold standard)
  • critères de jugement « évaluation diagnostique » basés sur :
    • différents algorithmes testés pour définir la meilleure stratégie médico-économique par rapport au « jugement clinique »
    • l’exactitude diagnostique mesurée par l’aire sous la courbe (AUROC), puis comparée à l’AUROC du « jugement clinique »
  • critères de jugement économiques : impacts sur la santé exprimés en « années de vie ajustées pour la qualité » (QALYs) et en « jours de vie ajustés pour la qualité » (QALDs))
  • la stratification des patients a tenu compte de la méthode de collecte des urines.

 

Résultats

  • le résultat de la culture d’urine (CU) était interprétable pour 5017 enfants (70%)
  • échantillon urinaire à mi-jet :
    • n = 2740, 94% avaient ≥ 2 ans et 54% étaient des fillettes
    • 2,2% présentaient une IU confirmée par CU
    • diagnostic clinique était correct dans 46,6% des cas, avec une AUROC de 0,77 et une spécificité de 94,7%
    • 4 symptômes (mictalgies, urines malodorantes, antécédent d’IU et absence d’une toux sévère) ; 3 signes (impression médicale globale d’une altération sévère de l’EG, palpation abdominale douloureuse, absence d’otite aiguë) et 3 résultats de TU (positivité pour nitrites ou leucocytes ou globules rouges) étaient associés indépendamment à une IU prouvée, avec une AUROC séquentiellement accrue de 0,89 (symptômes et signes uniquement) à 0,93 (avec TU)
    • la modélisation à haute spécificité résultait en un plus petit nombre d’échantillons urinaires prélevés par rapport à une stratification basée sur le « jugement clinique » (4,8% versus 9,2%) avec une équivalence, voire supérieure sensibilité et spécificité
    • ce modèle était ainsi plus précis, moins coûteux et tout aussi efficient que le « jugement clinique » en termes de QALDs et de QALYs
    • par contre, le rendement diagnostique de la TU était atténué par son coût
  • échantillon via un lange
    • n = 2277, 82% avaient < 2 ans et 48% étaient des fillettes
    • 1,3% présentaient une IU confirmée par CU
    • diagnostic clinique était correct dans 13,3% des cas, avec une AUROC de 0,63 et une spécificité de 98,5%
    • 4 symptômes (urines malodorantes, urines foncées, sexe féminin et absence de rash cutané du siège), et 2 résultats de TU (positivité pour nitrites ou leucocytes) étaient associés indépendamment à une IU prouvée, avec une AUROC séquentiellement accrue de 0,81 (symptômes uniquement) à 0,87 (avec TU)
    • le rapport coût/bénéfice n’a pas pu être calculé dans ce groupe du fait d’une faible valeur diagnostique du modèle chez l’enfant en très bas âge et du haut taux de contamination urinaire.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les modèles algorithmiques identifient mieux les enfants chez qui l’urine doit être analysée que le « jugement clinique », en particulier chez l’enfant apte à donner un échantillon d’urine à mi-jet. La tigette urinaire améliore la décision d’engager une antibiothérapie, mais représente un coût financier supplémentaire par rapport à l’attente du résultat du laboratoire. Des études supplémentaires, randomisées contrôlées, sont nécessaires pour mieux distinguer les germes uropathogènes des germes contaminants, évaluer l’impact de l’algorithme diagnostique sur le devenir des patients, et calculer le rapport coût/bénéfice d’une antibiothérapie empirique versus guidée.

Financement de l’étude

Programme du National Institute for Health Research Health Technology Assessment (HTA).

Conflits d’intérêts des auteurs

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

DUTY est une étude de cohorte diagnostique, prospective et multicentrique, incluant tout enfant de moins de 5 ans présentant une altération récente de l’état général. Le biais de sélection apparaît mineur vu le caractère consécutif du recrutement. L’étude a été approuvée par le comité d’éthique du National Health Service. Les critères d’inclusion sont clairs, et ont été respectés hormis l’âge initialement limité à 4 ans. Rappelons qu’une antibiothérapie récente et une comorbidité étaient des critères d’exclusion. La stratification des patients a tenu compte de la méthode de collecte des urines, « mi-jet » versus « lange stérile ». Le type de tigette urinaire (TU) a été standardisé : Siemens Multistix® 8 SG. La définition de l’étalon diagnostique était simple : identification d’un germe pathogène (> 105 CFU/ml) du groupe des Enterobacteriaceae dans les urines. Ceci limite le biais d’incorporation. La régression logistique et l’évaluation des modèles algorithmiques ont été réalisées « à l’aveugle » indépendamment du recrutement et de la collecte des données, ce qui protège du biais d’interprétation.

Interprétation des résultats

Au départ d’un contingent consécutif de 14724 enfants, 7374 enfants ont été inclus dont 196 ont été rétrospectivement exclus et 15 retirés de l’étude à la demande des parents. Parmi les 7163 enfants restants, 50% étaient des filles et 49% avaient moins de 2 ans. Le résultat de la culture urinaire (CU) était exploitable pour 5017 enfants (70%).

Un des premiers enseignements de cette large cohorte représentative de « la vie réelle » est que la prévalence de l’infection urinaire (IU) chez l’enfant de moins de 5 ans présentant une altération aiguë de l’EG est faible : 2,2% en cas de prélèvements « à mi-jet » et 1,3% en cas d’utilisation de « langes stériles ».

Le deuxième message de l’étude DUTY concerne l’impact majeur du mode de prélèvement des urines sur l’efficience et la précision de la CU, ce qui in fine limite l’exercice de modélisation statistique. En effet, l’algorithme basé sur les symptômes et signes cliniques a une meilleure efficience que le « jugement clinique »… uniquement si l’échantillon d’urine a été prélevé « à mi-jet ».

La troisième conclusion de DUTY suggère que la TU améliore la décision d’engager une antibiothérapie, moyennant un coût financier supplémentaire. Parmi les enfants aptes à fournir un échantillon d’urine « à mi-jet », 4 symptômes et 3 signes cliniques suggèrent une IU, avec une amélioration significative de cette présomption diagnostique par le résultat de la TU. Chez les enfants nécessitant l’utilisation d’un « lange stérile », 4 symptômes suggèrent une IU, avec un renforcement diagnostique modeste en cas de positivité de la TU.  

Malgré ces résultats pragmatiques, l’étude DUTY n’aborde pas l’impact sociétal de la résistance bactérienne aux antibiotiques, et ne permet pas de répondre au dilemme d’une antibiothérapie empirique versus guidée par un antibiogramme (3,4). En outre, la définition de germes uropathogènes est restrictive au groupe des Enterobacteriaceae, ce qui limite l’interprétation des germes urinaires dits « contaminants ».

Des études supplémentaires, randomisées contrôlées, sont donc nécessaires pour mieux distinguer les germes uropathogènes des germes contaminants, évaluer l’impact de l’algorithme diagnostique sur le devenir des patients, et calculer le rapport coût/bénéfice d’une antibiothérapie empirique versus guidée.

 

Conclusion de Minerva

L’étude DUTY correspond à une cohorte diagnostique, prospective et multicentrique, incluant 7163 enfants de moins de 5 ans se présentant en médecine générale pour une altération récente de l’état général. Sur base d’une analyse rigoureuse et adéquate, les auteurs recommandent de collecter un échantillon d’urine « à mi-jet » chez l’enfant âgé de plus de 2 ans si 3 des 5 symptômes et signes suivants sont présents : antécédent d’infection urinaire, urines malodorantes, mictalgies, absence d’une toux sévère, impression clinique d’une maladie sévère. Cette approche est dotée d’une sensibilité de 51,7%, sans amélioration cliniquement et économiquement justifiée de la tigette urinaire. Chez l’enfant de moins de 2 ans pour qui l’utilisation d’un « lange stérile » est indispensable, les données de l’étude ne permettent pas de trancher en faveur d’un modèle algorithmique, avec ou sans tigette urinaire.

 

Pour la pratique

Les recommandations du National Institute for Health and Care Excellence (NICE) (5) suggéraient en 2007 de rechercher promptement une IU chez tout enfant présentant une altération aiguë de l’EG. Néanmoins, NICE insistait sur l’absence de critères cliniques forts en faveur d’une IU et sur l’importance d’une documentation bactériologique dans le choix antibiotique. Une mise à jour des recommandations est programmée (6).

En 2016, l’étude DUTY propose un algorithme décisionnel basé sur des symptômes et des signes cliniques en faveur d’une IU. Ce modèle diagnostique apparaît fiable chez l’enfant de plus de 2 ans apte à donner un échantillon d’urine à mi-jet. L’utilisation systématique de la tigette urinaire n’est pas justifiée.

 

Références 

  1. National Collaborating Centre for Women’s and Children's Health. Urinary tract infection in children: diagnosis, treatment and long-term management. NICE guidelines [CG54] 2007.
  2. Whiting P, Westwood M, Bojke L, et al. Clinical effectiveness and cost-effectiveness of tests for the diagnosis and investigation of urinary tract infection in children: a systematic review and economic model. Health Technol Assess 2006;10:iii-iv,xi-xiii,1-154. DOI: 10.3310/hta10360
  3. Williams G, Craig JC. Long-term antibiotics for preventing recurrent urinary tract infection in children. Cochrane Database Syst Rev 2011, Issue 3. DOI: 10.1002/14651858.CD001534.pub3
  4. Dai B, Liu Y, Jia J, Mei C. Long-term antibiotics for the prevention of recurrent urinary tract infection in children: a systematic review and meta-analysis. Arch Dis Child 2010;95:499-508. DOI: 10.1136/adc.2009.173112
  5. National Institute for Health and Care Excellence. Urinary tract infection in under 16s: diagnosis and management. NICE guidelines [CG54] 2007.
  6. National Institute for Health and Care Excellence. Surveillance report 2016. Urinary tract infection in under 16s: diagnosis and management. NICE guidelines [CG54] 2007.



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