Revue d'Evidence-Based Medicine



Détection accrue d’accès de fibrillation auriculaire par surveillance électronique sans bénéfice clinique démontré pour le patient



Minerva 2019 Volume 18 Numéro 9 Page 101 - 104

Professions de santé

Médecin généraliste

Analyse de
Steinhubl SR, Waalen J, Edwards AM, et al. Effect of a home-based wearable continuous ECG monitoring patch on detection of undiagnosed atrial fibrillation: the mSToPS randomized clinical trial. JAMA 2018;320:146‑55. DOI: 10.1001/jama.2018.8102


Question clinique
Quelle est l’efficacité de l’utilisation d’un patch de surveillance continue de l’ECG en terme de dépistage de la fibrillation auriculaire non diagnostiquée et en termes de conséquences cliniques associées à un tel dépistage ?


Conclusion
Cette étude randomisée, pragmatique, caractérisée par un recrutement électronique direct des participants et une réalisation complètement numérique sans site clinique, montre que le dépistage par voie électronique d’accès de FA est possible mais la signification clinique de ces résultats n’est pas connue. Ces arythmies sont souvent observées par exemple en réanimation et il n’y a pas de consensus sur l’attitude à avoir. Le design de l’étude ne permet pas de l’évaluer. Elle vise surtout à valider une technique de diagnostic précoce étudiée par des spécialistes des technologies médicale et de l’intelligence artificielle travaillant dans des sociétés spécialisées. Le but de ces sociétés est également de réaliser des études cliniques sur base de banque de données de santé en contactant le patient sélectionné, ce qui permet de se passer des investigateurs médicaux. De plus, le secret médical est largement violé ainsi que les droits du patient sur le contrôle de ses données.


Que disent les guides de pratique clinique ?
L’ESC (European Society of Cardiology) recommande le dépistage opportuniste de la FA chez les patients de 65 ans et plus ainsi que chez les patients à risque. L’abord du traitement de la FA peut être complexe, nécessitant une approche de soins intégrés comme rapporté récemment dans Minerva. L’étude analysée ici ne change pas notre pratique basée sur les recommandations existantes. D’un point de vue plus général, le lecteur retiendra qu’il faut faire attention aux études dites cliniques réalisées par l’industrie de l’intelligence artificielle. Pour que ces études puissent être considérées comme probantes, elles doivent suivre les mêmes règles de base que les études cliniques classiques et se baser sur des données récoltées de façon adéquate et au mieux prospectivement. Des études telles que celle discutée ici n’ont tout au plus qu’une valeur exploratoire.


Contexte 

La fibrillation auriculaire (FA) est la plus fréquente des arythmies cardiaques soutenues avec un risque cumulé sur la durée d'unvie estimé à 37% à partir de l’âge de 55 ans. Lorsqu’elle est cliniquement identifiée, elle est associée à un risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) multiplié par 5. Elle est responsable du tiers des AVC. Dans 20% des cas d’AVC dû à une FA, l’arythmie est diagnostiquée à la survenue de l’AVC. L’anticoagulation thérapeutique en cas de FA identifiée réduit le risque absolu annuel d’AVC de 2,7 et 8,4% respectivement en préventions primaire et secondaire, avec une réduction annuelle de 0,5% de la mortalité (1). C’est sur base de ces arguments que les sociétés scientifiques recommandent le dépistage opportuniste de cette arythmie. Un essai portant l’acronyme mSToPS (The mHealth Screening to Prevent Strokes) tente de démontrer un avantage d’un dépistage opportuniste de la FA grâce à l’utilisation des nouvelles technologies.

 

Résumé

Population étudiée 

  • provient d’une assurance médicale du système américain de santé ; les patients éligibles ont été invités par courrier à se connecter sur un site Internet pour donner leur accord et contrôler leur condition d’éligibilité
  • critères d’inclusion :
    • âge ≥ 75 ans
    • homme > 55 ans ou femme > 65 ans avec une ou plusieurs des comorbidités suivantes : AVC antérieur ou accident ischémique transitoire (AIT), insuffisance cardiaque, présence simultanée de diabète et d’hypertension artérielle, maladie mitrale, hypertrophie ventriculaire gauche, maladie pulmonaire obstructive chronique nécessitant de l'oxygène à domicile, syndrome d’apnée du sommeil, antécédents d'embolie pulmonaire, infarctus du myocarde, obésité
  • critères d’exclusion :
    • diagnostic actuel ou antérieur de FA, flutter auriculaire ou tachycardie auriculaire
    • anticoagulation chronique
    • soins palliatifs
    • maladie rénale en phase terminale
    • démence moyenne ou sévère
    • stimulateur cardiaque et/ou défibrillateur implantable
    • antécédents d'allergies cutanées aux timbres adhésifs
    • cancer métastatique connu
    • personnes ayant une maladie avancée et une espérance de vie limitée
  • sur 1039862 membres de l’assurance, 359161 présentaient les critères d’éligibilité ;  102553 ont été invités à participer et 2820 ont accepté avec randomisation de 2659 : 1366 dans le bras immédiat et 1293 dans le bras retardé ; dans le groupe des non contactés, 5318 ont été identifiés pour le pairage et 3476 effectivement retenus comme contrôles appariés
  • l’âge moyen des sujets était de 73,7 ans avec 40,1% de femmes ; 12,7% avaient un antécédent d’AVC et 5,2% d’infarctus myocardique ; 75,2% étaient hypertendus, 34,9% diabétiques, 10,7% insuffisants rénaux chroniques et 16,6% obèses.

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée : les patients ont été randomisés entre un monitoring immédiat (à l’enrôlement) ou retardé (4 mois après l’enrôlement) ; le monitoring s’est fait par une électrode sur patch placé pendant 2 semaines à deux reprises à 3 mois d’intervalle
  • étude observationnelle : les deux groupes randomisés ont été mêlés et comparés à une cohorte observationnelle appariée ; la durée de l’étude était d’un an en tout pour chaque patient
  • deux sociétés ont réalisé l’étude : Healthagen pour la collecte des données de santé directement à partir des dossiers médicaux et Scripps Translational Science Institute pour celle des données ECG, l’analyse étant réalisée ensemble par les deux.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire (= étude randomisée (4 mois de durée)) : incidence de FA nouvellement diagnostiquée (d’une durée ≥ 30 secondes de FA ou de flutter et détectée par le dispositif ou par nouveau diagnostic clinique enregistré dans les données de l’assurance) à la fin de la période de surveillance de 4 mois dans le groupe de surveillance immédiate par rapport au groupe de surveillance retardée
  • critère de jugement secondaire (= étude de cohorte à 1 an) : taux d'incidence pour 100 personnes-années d'un nouveau diagnostic de FA dans la cohorte par protocole et leurs témoins correspondants, en utilisant la même définition de FA
  • autres critères de jugement secondaires préspécifiés : initiation de thérapies liées à la FA (anticoagulants, antiarythmiques, cardioversions, procédures d'ablation) ; hospitalisations et visites aux urgences avec un diagnostic principal de FA
  • analyse faite en intention de traiter et selon le protocole.

 

Résultats

  • sur les 2659 patients randomisés, 34,5% (n = 917) n’ont pas mis leur patch et pour 4, il n’y avait pas données à un an ; seuls 1738 ont donc été activement monitorés ; sur les 12 mois de suivi, 11,4% de ces derniers se sont désinscrits du plan de la santé
  • critères de jugement primaire (étude randomisée) : en analyse en intention de traiter, l'incidence des nouveaux cas de FA a été de 3,9% (53/1366) dans le groupe de surveillance immédiate vs 0,9% (12/1293) dans le groupe de surveillance retardée (différence absolue 3,0% [avec IC à 95%, de 1,8 à 4,1]) ;des résultats similaires ont été trouvés dans l'analyse selon le protocole (5,1% [46/906] vs 0,6% [5/832]; différence absolue 4,5% [avec IC à 95%, de 3,0 à 6,1])
  • critères de jugement secondaire (étude d'observation) : après 12 mois de suivi, 190 nouveaux cas de FA ont été détectés, 109 sur 1738 (6,7 pour 100 personnes-années) dans la cohorte activement surveillée et 81 sur 3 376 (2,6 pour 100 personnes-années) parmi les contrôles observationnels (différence absolue 4,1 [avec IC à 95%, de 3,9 à 4,2]) ; dans la cohorte activement suivie, la FA a été trouvée en premier par le patch ECG chez 65 individus (43 avec le premier patch et 22 uniquement avec le second patch)
  • autres objectifs secondaires :
    • l’analyse des sous-groupes ne change pas le sens des résultats
    • pour les 65 FA survenues avec le patch, 12 (17,4%) ont été associées à des symptômes et deux patients ont reçu des soins
    • conséquences cliniques : la surveillance active a été associée à un taux plus élevé de
      • traitement anticoagulant en général (5,7 vs 3,7 pour 100 années-personnes; différence absolue de 2,0 [avec IC à 95%, de 1,9 à 2,2]) et spécifiquement pour la FA (2,4 vs 1,3 pour 100 années-personnes; différence absolue de 1,1 [avec IC à 95%, de 1,0 à 1,2])
      • traitements antiarythmiques et procédures d'ablation ou de cardioversion, (sans augmentation des hospitalisations ni des visites aux urgences pour FA)
      • ressources de soins de santé, en particulier consultations en cardiologie.

Conclusion des auteurs

Chez les personnes à risque élevé de FA, la surveillance immédiate avec un patch de capteur ECG portable, par rapport à la surveillance retardée, permet un taux plus élevé de diagnostic de FA après 4 mois. Les personnes surveillées, comparées aux témoins non surveillés, présentent un taux plus élevé de diagnostic de FA et un plus grand taux d’initiation d’anticoagulants, avec une utilisation accrue des ressources de soins de santé à un an.

 

Financement de l’étude

Cette étude a été financée par une firme pharmaceutique (Janssen Pharmaceuticals) ainsi que par le National Institutes of Health et une entreprise de technologie (Qualcomm).

 

Conflits d’intérêts des auteurs

Les auteurs sont tous employés d’une entreprise de technologie ou de l’industrie pharmaceutique.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Le titre de l’étude induit en erreur car il donne l’impression que la question importante, à savoir le rôle du dépistage d’accès de FA par une méthode électronique à l’aide d’un capteur dans un patch, a un impact bénéfique clinique. Hors ce n’est pas le cas. S’il y a une randomisation initiale entre une détection immédiate ou une détection retardée, la comparaison avec l’absence de détection électronique se fait par une comparaison de type cas – contrôles appariés, les témoins étant obtenus en fouillant une grande banque de données d’un système d’assurance de santé étatsunien.

La méthode de randomisation centralisée semble adéquate. Par contre, la sélection des patients pose un problème majeur de confidentialité des données médicales. Les investigateurs – tous appartenant à des compagnies commerciales – ont sélectionné les sujets en consultant leur dossier médical sans avoir obtenu leur accord préalable. Le consentement informé n’a été obtenu que pour les personnes qui ont accepté de participer à la partie randomisée de l’étude. Quant aux témoins de la série de contrôle, ils ne sont même pas au courant de l’utilisation de leurs données. Une telle étude serait inconcevable dans l’Union européenne.

Si les critères de qualité méthodologique pour le design choisi (randomisation, puissance, effectifs …) sont formellement corrects, le problème est dans le choix des objectifs. Les investigateurs de l’étude n’ont pas choisi de critères de jugement (primaire ou secondaires) pertinents pour le patient, c.-à-d. la mortalité, la survie sans AVC, l’apparition d’AVC, les complications de l’anticoagulation, etc. Les auteurs ont choisi des critères de type intermédiaire (« surrogates ») comme la détection de brefs épisodes de FA (durée ≥ 30 secondes) dont la signification clinique n’est pas connue (et d’ailleurs souvent non traité par anticoagulation en routine). Cette étude teste plus l’efficacité d’une technologie à détecter des épisodes de FA qu’une question d’intérêt clinique.

 

Interprétation des résultats

Les résultats sont correctement présentés. Il est difficile de les comparer car l’étude est la première dans son genre. C’est une étude réalisée par des spécialistes des mégadonnées recourant à la technologie informatique pour réaliser la sélection des sujets, le recrutement des patients, la récolte des données, le suivi et l’analyse des résultats. A aucun moment le clinicien n’intervient sauf en alimentant par ses interventions la banque de mégadonnées mais sans le savoir.

Si les caractéristiques des patients inclus dans les trois groupes de l’étude (dépistage précoce, dépistage retardé, témoins) ne montrent pas de déséquilibre majeur, on ne peut qu’être frappé par le grand nombre de sujets potentiellement éligibles n’ayant pas accepté l’étude (97,4%) et par le nombre élevé d’abandons en cours d’étude après la randomisation (38%). Ces taux suggèrent une étude biaisée. Le groupe témoin ne garantit pas la représentativité car le choix pour l’appariement s’est basé sur les caractéristiques des patients randomisés.

Il faut noter qu’une des conclusions des auteurs est une augmentation du taux d’initiation d’anticoagulants, avec une utilisation accrue des ressources de soins de santé à un an, ce qui cadre bien avec l’intérêt des firmes commerciales concernées par l’étude.

Vu l’absence de critères cliniques pertinents, on ne peut pas utiliser pour sa propre pratique les résultats obtenus chez des patients souvent asymptomatiques, à savoir la détection de trois fois plus d’épisodes de FA. Ces résultats doivent être considérés avant tout comme exploratoires pour construire une étude clinique prospective pertinente.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude randomisée, pragmatique, caractérisée par un recrutement électronique direct des participants et une réalisation complètement numérique sans site clinique, montre que le dépistage par voie électronique d’accès de FA est possible mais la signification clinique de ces résultats n’est pas connue. Le design de l’étude ne permet pas de l’évaluer. Elle vise surtout à valider une technique de diagnostic précoce étudiée par des spécialistes des technologies médicale et de l’intelligence artificielle travaillant dans des sociétés spécialisées (2). Le but de ces sociétés est également de réaliser des études cliniques sur base de banque de données de santé en contactant le patient sélectionné, ce qui permet de se passer des investigateurs médicaux (3). De plus, le secret médical est largement violé ainsi que les droits du patient sur le contrôle de ses données.

 

Pour la pratique

L’ESC (European Society of Cardiology) recommande le dépistage opportuniste de la FA chez les patients de 65 ans et plus ainsi que chez les patients à risque (4).

L’abord du traitement de la FA peut être complexe, nécessitant une approche de soins intégrés comme rapporté récemment dans Minerva (5,6). L’étude analysée ici ne change pas notre pratique basée sur les recommandations existantes (7-10).

D’un point de vue plus général, le lecteur retiendra qu’il faut faire attention aux études dites cliniques réalisées par l’industrie de l’intelligence artificielle (11). Pour que ces études puissent être considérées comme probantes, elles doivent suivre les mêmes règles de base que les études cliniques classiques et se baser sur des données récoltées de façon adéquate et au mieux prospectivement. Des études telles que celle discutée ici n’ont tout au plus qu’une valeur exploratoire.

 

 

 

Références 

  1. Hart RG, Pearce LA, Aguilar MI. Meta-analysis: antithrombotic therapy to prevent stroke in patients who have non valvular atrial fibrillation. Ann Intern Med 2007;146:857-67. DOI: 10.7326/0003-4819-146-12-200706190-00007
  2. Quer G, Muse ED, Nikzad N, et al. Augmenting diagnostic vision with AI. Lancet 2017;390:221. DOI: 10.1016/S0140-6736(17)31764-6
  3. Baca-Motes K, Edwards AM, Waalen J, et al. Digital recruitment and enrollment in a remote nationwide trial of screening for undiagnosed atrial fibrillation: Lessons from the randomized, controlled mSToPS trial. Contemp Clin Trials Commun 2019;14:100318. DOI: 10.1016/j.conctc.2019.100318
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  8. INAMI. L’usage rationnel des anticoagulants oraux (directs (AOD) ou antagonistes de la vitamine K (AVK)) en cas de fibrillation auriculaire (prévention thromboembolique) et en cas de thromboembolie veineuse (traitement et prévention secondaire). Réunion de consensus – 30 novembre 2017 – Conclusions - Rapport du jury - texte complet (version longue).
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